COVID-19 : Clauses d’exécution exonérée ou différée | Practical Law

COVID-19 : Clauses d’exécution exonérée ou différée | Practical Law

L'épidémie de la nouvelle maladie à coronavirus de 2019 (COVID-19) a frappé le monde. Le Canada n'a pas été épargné. Le début de la pandémie a déclenché un réexamen mondial des dispositions contractuelles autorisant des exécutions exonérées ou différées résultant d'une perturbation de la chaîne d'approvisionnement. Ces clauses se répartissent en trois grands types. L'un est une disposition de force majeure qui répartit le risque de contingences imprévues ou isolées telles qu'une pandémie. Un second type est une clause spécifiant que le temps est une condition essentielle du contrat. Le troisième type de clause déclenche la procédure de résiliation en cas de retard indépendant de la volonté de la partie qui résilie et qui exerce son droit de résiliation prévu au contrat. Cette Note de pratique examine, principalement du point de vue de la common law canadienne, mais également de celui du droit civil québécois (Code civil du Québec, comment ces clauses ont été interprétées et appliquées au Canada. Les entreprises ne doivent pas présumer qu'il est facile d'invoquer l'épidémie de COVID-19 pour s’exonérer de leur devoir contractuel d’exécuter les obligations prévues au contrat ou pour justifier une exécution différée.

COVID-19 : Clauses d’exécution exonérée ou différée

Practical Law Canada Practice Note w-027-5316 (Approx. 34 pages)

COVID-19 : Clauses d’exécution exonérée ou différée

by Practical Law Canada Commercial Transactions
Law stated as at 07 May 2021Quebec
L'épidémie de la nouvelle maladie à coronavirus de 2019 (COVID-19) a frappé le monde. Le Canada n'a pas été épargné. Le début de la pandémie a déclenché un réexamen mondial des dispositions contractuelles autorisant des exécutions exonérées ou différées résultant d'une perturbation de la chaîne d'approvisionnement. Ces clauses se répartissent en trois grands types. L'un est une disposition de force majeure qui répartit le risque de contingences imprévues ou isolées telles qu'une pandémie. Un second type est une clause spécifiant que le temps est une condition essentielle du contrat. Le troisième type de clause déclenche la procédure de résiliation en cas de retard indépendant de la volonté de la partie qui résilie et qui exerce son droit de résiliation prévu au contrat. Cette Note de pratique examine, principalement du point de vue de la common law canadienne, mais également de celui du droit civil québécois (Code civil du Québec, comment ces clauses ont été interprétées et appliquées au Canada. Les entreprises ne doivent pas présumer qu'il est facile d'invoquer l'épidémie de COVID-19 pour s’exonérer de leur devoir contractuel d’exécuter les obligations prévues au contrat ou pour justifier une exécution différée.
This document is available in the English language and can be used in the province of Québec. See Practice Note, COVID-19: Excused and Delayed Performance Clauses.

Contexte

Comme point de départ, les parties contractantes sont en droit commun tenues de s'acquitter de leurs obligations convenues. Il existe des exonérations pour l’inexécution ou les exécutions différées, mais elles sont interprétées et appliquées de manière restrictive par tous les tribunaux.
De même, en droit québécois, le Code civil du Québec, RLRQ, c. CCQ-1991 (C.c.Q.) souligne le caractère exécutoire du contrat :
Le contrat valablement formé oblige ceux qui l’ont conclu non seulement pour ce qu’ils y ont exprimé, mais aussi pour tout ce qui en découle d’après sa nature et suivant les usages, l’équité ou la loi.
(Article 1434, C.c.Q.)
Un contrat peut comprendre une clause expresse de force majeure. Si tel est le cas, cette clause répartira le risque d'inexécution ou d’exécution différée. Le libellé de la clause de force majeure lu dans son contexte est déterminant. La common law ne prévoit pas l’existence d’une disposition implicite de force majeure.
Le droit civil québécois prévoit quant à lui l’existence d’une clause implicite de force majeure, même si le contrat est muet à cet égard.
En effet, l’article 1470 du C.c.Q. est clair sur ce point :
Toute personne peut se dégager de sa responsabilité pour le préjudice causé à autrui si elle prouve que le préjudice résulte d’une force majeure, à moins qu’elle ne se soit engagée à le réparer.
La force majeure est un événement imprévisible et irrésistible; y est assimilée la cause étrangère qui présente ces mêmes caractères.
Ainsi donc, si le droit québécois s’applique au contrat, la partie en défaut pourra toujours invoquer la force majeure pour justifier son inexécution ou son exécution différée, à moins qu’elle ne se soit engagée à une obligation de garantie. Les obligations de moyen et de résultat peuvent, quant à elles, être exonérées par la survenance d’un événement de force majeure. Encore faut-il démontrer la survenance d’un tel événement. Pour y arriver, la partie en défaut doit démontrer le caractère imprévisible et irrésistible de celui-ci.
La common law reconnaît également, comme exonération à l'inexécution, l'impossibilité et la frustration. Ces faits nouveaux sont également appliqués de manière étroite et, le cas échéant, entachent l'intégralité du contrat plutôt que de simplement permettre une inexécution différée.
Pour plus d'informations sur les doctrines de l'impossibilité et de la frustration dans le contexte d'une pandémie, voir les Actualités juridiques, Conséquences de la pandémie COVID-19 en droit commercial et contractuel : perspectives en common law et droit civil.

Force majeure

Dans chaque opération commerciale, des événements extrêmes, communément appelés événements de force majeure, qui échappent au contrôle d'une partie, peuvent survenir et empêcher totalement la partie concernée d'exécuter le contrat ou en temps opportun. Si le contrat est muet sur la force majeure, un tribunal rend sa décision d’exonérer ou non l’exécution de la partie touchée sur la base des exonérations distinctes pour inexécution consistant en une impossibilité et une frustration.
L'inclusion d'une clause de force majeure dans un contrat est importante, car cette notion n'est pas autrement inscrite comme principe juridique en common law, bien qu'elle soit codifiée dans le C.c.Q. En common law, s'il n'y a pas de clause de force majeure dans un contrat, une partie ne sera pas relevée de ses obligations contractuelles et restera responsable envers l'autre partie de son exécution malgré la survenance d'un événement indépendant de la volonté de la partie touchée, même lorsque la capacité de cette partie à exécuter ses obligations est considérablement réduite ou rendue impossible. Lorsque l'exécution est altérée ou impossible et que le contrat ne contient aucune clause de force majeure, la partie contrevenante pourrait également être tenue de payer des dommages-intérêts au lieu de l'exécution (si le contrat comprend une clause de dommages-intérêts).
Le droit civil québécois diffère de la common law sur ce point. Le C.c.Q. prévoit qu’une partie manquant à son devoir contractuel sera tenue de réparer le préjudice qu’elle a causé à son cocontractant, qu’il y ait ou non une clause prévoyant des dommages-intérêts.
Toute personne a le devoir d’honorer les engagements qu’elle a contractés.
Elle est, lorsqu’elle manque à ce devoir, responsable du préjudice, corporel, moral ou matériel, qu’elle cause à son cocontractant et tenue de réparer ce préjudice; ni elle ni le cocontractant ne peuvent alors se soustraire à l’application des règles du régime contractuel de responsabilité pour opter en faveur de règles qui leur seraient plus profitables.
(Article 1458, C.c.Q.)
Le créancier de l’obligation a plusieurs options qui s’offrent à lui en vertu du C.c.Q. pour remédier au défaut de son cocontractant (le débiteur de l’obligation). Il peut demander l’exécution forcée de l’obligation, la résolution du contrat ou prendre tout autre moyen prévu par la loi.
L’obligation confère au créancier le droit d’exiger qu’elle soit exécutée entièrement, correctement et sans retard.
Lorsque le débiteur, sans justification, n’exécute pas son obligation et qu’il est en demeure, le créancier peut, sans préjudice de son droit à l’exécution par équivalent de tout ou partie de l’obligation :
1° Forcer l’exécution en nature de l’obligation;
2° Obtenir, si l’obligation est contractuelle, la résolution ou la résiliation du contrat ou la réduction de sa propre obligation corrélative;
3° Prendre tout autre moyen que la loi prévoit pour la mise en œuvre de son droit à l’exécution de l’obligation.
(Article 1590, C.c.Q.)
Le créancier a droit à des dommages-intérêts :
Le créancier a droit à des dommages-intérêts en réparation du préjudice, qu’il soit corporel, moral ou matériel, que lui cause le défaut du débiteur et qui en est une suite immédiate et directe.
(Article 1607, C.c.Q.)
La responsabilité du débiteur à cet égard est limitée aux dommages-intérêts qui sont prévus ou qu’on a pu prévoir au contrat au moment où l’obligation a été contractée, à moins qu’il n’ait commis une faute lourde ou intentionnelle :
En matière contractuelle, le débiteur n’est tenu que des dommages-intérêts qui ont été prévus ou qu’on a pu prévoir au moment où l’obligation a été contractée, lorsque ce n’est point par sa faute intentionnelle ou par sa faute lourde qu’elle n’est point exécutée; même alors, les dommages-intérêts ne comprennent que ce qui est une suite immédiate et directe de l’inexécution.
(Article 1613, C.c.Q.)
L’insertion d’une clause d’évaluation anticipée (communément appelée clause pénale) est balisée par les articles suivants du C.c.Q. :
La clause pénale est celle par laquelle les parties évaluent par anticipation les dommages-intérêts en stipulant que le débiteur se soumettra à une peine au cas où il n’exécuterait pas son obligation.
Elle donne au créancier le droit de se prévaloir de cette clause au lieu de poursuivre, dans les cas qui le permettent, l’exécution en nature de l’obligation; mais il ne peut en aucun cas demander en même temps l’exécution et la peine, à moins que celle-ci n’ait été stipulée que pour le seul retard dans l’exécution de l’obligation.
(Article 1622, C.c.Q.)
et
Le créancier qui se prévaut de la clause pénale a droit au montant de la peine stipulée sans avoir à prouver le préjudice qu’il a subi.
Cependant, le montant de la peine stipulée peut être réduit si l’exécution partielle de l’obligation a profité au créancier ou si la clause est abusive.
(Article 1623, C.c.Q.)
Il importe donc d’examiner les critères dégagés par les tribunaux pour déterminer si une clause « pénale » est abusive ou non.
La décision Soudure LPB inc. c. Mécanique industrielle Fortier et Fils inc., EYB 2018-293847 (C.S. Que.) dégage bien l’état du droit sur cette question. En bref, l’inaction ou le manquement doit avoir causé un préjudice au créancier de l’obligation. S’il n’y a pas de préjudice, la clause « pénale » ne s’appliquera pas. Cette clause doit également être raisonnable eu égard à la réparation pécuniaire qui y est prévue. Ces critères respectent le libellé de l’article 1623 du C.c.Q.
Dans la décision Peinture Ross et Montmagny inc. c. Montmagny, EYB 2018-304882 (C.Q.), la cour analyse la portée de l’article 1622 du C.c.Q. et rappelle les balises suivantes :
Une clause pénale est d'ordre public et d'interprétation restrictive;
L'objet d'une telle clause est de déterminer à l'avance les dommages-intérêts qui seront dus en cas de violation de l'engagement;
La présence d'une clause pénale a pour effet d'écarter toute possibilité de demander à la fois l'exécution de la clause pénale et des dommages-intérêts en compensation du même préjudice.
Conséquemment, la clause pénale contenue dans la convention ne répond pas à la définition d'une clause pénale au sens du C.c.Q.
L’analyse de ces dispositions est essentielle avant d’entreprendre toute poursuite basée sur un manquement aux obligations prévues au contrat.
Cela étant dit, en vertu du C.c.Q., le débiteur de l’obligation peut être exonéré de ses obligations contractuelles en cas de force majeure, et ce, même si le contrat ne contient pas de clause de force majeure. L’article 1470 du C.c.Q. s’applique à tout contrat :
Toute personne peut se dégager de sa responsabilité pour le préjudice causé à autrui si elle prouve que le préjudice résulte d’une force majeure, à moins qu’elle ne se soit engagée à le réparer.
La force majeure est un événement imprévisible et irrésistible; y est assimilée la cause étrangère qui présente ces mêmes caractères.
Il reste donc à déterminer ce que constitue un événement imprévisible et irrésistible. Ces événements sont par définition rarissimes.
En supposant que le contrat contienne une clause de force majeure, les étapes suivantes seront nécessaires pour l'analyser en détail :
  • Étape 1 : Identifiez si l'obstacle à l'exécution est un événement de force majeure spécifié.
  • Étape 2 : Si la clause de force majeure, interprétée objectivement, couvre l'épidémie de la nouvelle maladie à coronavirus de 2019 (COVID-19), on doit alors en poursuivre l’analyse. Là encore, le contrat spécifique entre les parties prévaut. Cela dit, les parties devraient examiner les questions suivantes :
    • Avis d'événement de force majeure ;
    • Causalité ;
    • Atténuation ; et
    • Conséquences sur l'exécution des obligations contractuelles.
L'étape 1 (détermination de la question à savoir si l'entrave à l'exécution est couverte par l'événement de force majeure spécifié) est un exercice d'interprétation du contrat où, dans ce contexte, le libellé utilisé dans la clause de force majeure en relation avec le contrat dans son ensemble et le contexte environnant est crucial. L'analyse de l'étape 1 se divise en :
  • Principes d'interprétation.
  • Analyse du libellé spécifique.
  • Application à l'épidémie de COVID-19.
Par souci d'exhaustivité, cette Note de pratique mentionnera également des exemples de libellés spécifiques qui sont peu susceptibles de s'appliquer à une exécution contractuelle entravée attribuable directement à la pandémie.

Principes d’interprétation

La principale cause au Canada concernant les clauses de force majeure est l’arrêt Atlantic Paper Stock Ltd. c. St. Anne-Nackawic Pulp & Paper Co., 1975 CarswellNB 26F (C.S.C.) (EYB 1975-216358) (Atlantic Paper). L'affaire concernait un contrat de dix ans pour la fourniture de vieux papiers utilisés dans la production de carton ondulé. Cependant, 14 mois après le début du contrat, le client a informé le fournisseur qu'il n'accepterait plus de fibre, se fondant sur la clause de force majeure du contrat.
Les principes généraux émergeant d’Atlantic Paper sont :
  • Une clause de force majeure dispense généralement une partie de l'exécution de ses obligations contractuelles lorsque survient un événement, parfois surnaturel, indépendant de la volonté de l'une ou l'autre des parties, sur lequel les parties n'ont aucun contrôle et qui rend l'exécution du contrat impossible. Cet événement doit être inattendu et humainement imprévisible et incontrôlable. Le fil conducteur est celui de l'inattendu, quelque chose qui dépasse la prévoyance et l'habileté humaine raisonnables (Atlantic Paper, paragraphe 4).
  • Dans ce cas, les mots « absence de marchés » étaient limités à un événement sur lequel le défendeur (c'est-à-dire la partie invoquant la disposition relative à la force majeure) n'exerçait aucun contrôle, à savoir l’absence de marchés économiques pour St. Anne. Ici, cependant, c’est l'absence d'un plan efficace de commercialisation du carton cannelure qui a surtout causé l'échec de St. Anne dans la production de ce produit (Atlantic Paper, paragraphe 5).
  • Une clause de force majeure ne devrait pas être appliquée pour libérer une partie d'une obligation contractuelle simplement parce qu'elle est confrontée à des coûts de production en flèche et ne peut pas fonctionner avec un profit. La cour est d'avis que permettre à St. Anne d'invoquer ses coûts de production sans cesse croissants pour se soustraire à toute responsabilité contractuelle va à l'encontre des termes clairs « absence de marchés pour la pâte à papier ou le carton cannelure » considérés dans le contexte de la clause (Atlantic Paper, paragraphe 6).
Un arrêt de la Cour d’appel, en citant un extrait de la décision de première instance, effectue un bref survol de l’origine et de la portée de l’article 1470 du C.c.Q., l’arrêt SNC-Lavalin inc. (Terratech inc. et SNC-Lavalin Environnement inc.) c. Deguise, EYB 2020-350878 (C.A. Que.) (SNC-Lavalin) :
[805] Les causes d'exonération dans les règles de droit commun sont énoncées à l'article 1470 C.c.Q. Il s'agit de la force majeure, faute d'un tiers ou du propriétaire.
[806] Bien que le législateur n'ait pas repris les moyens d'exonération élaborés par la jurisprudence avant 1994, en rapport avec la force majeure, la faute d'un tiers ou du propriétaire, ces moyens demeurent valables et peuvent être invoqués par tous les intervenants en construction, dont l'entrepreneur général.
[807] La force majeure doit revêtir un caractère de gravité extrême que l'on ne peut prévoir.
[808] Quant à la faute d'un tiers, elle doit également être extérieure à la volonté de l'intervenant en construction, imprévisible et irrésistible. Ce tiers ne doit pas être une partie au contrat ni une personne qui participe aux travaux de construction.
La jurisprudence ultérieure a ajouté les principes généraux suivants :

Décisions autres que québécoises (mais pertinentes au Québec)

Décisions québécoises

  • Pour plaider la force majeure, trois critères cumulatifs doivent être remplis : l'extériorité, l'imprévisibilité et l'irrésistibilité. Les fournisseurs de matériaux ne sont pas des tiers étrangers à la construction. L'hypothèque légale de la construction prévue à l'article 2726 du C.c.Q. les inclut d'ailleurs dans sa définition des « personnes qui ont participé à la construction ». Le fait pour le législateur de ne pas avoir prévu leur responsabilité solidaire à l'article 2118 du C.c.Q. ne fait pas en sorte de les qualifier de tiers étrangers à la construction. (SNC-Lavalin, paragraphes 171, 172 et 183).
  • À maintes reprises, les tribunaux ont reconnu qu'une Ville est gardienne de son réseau d'aqueduc, d'égouts ou de collecte et d'évacuation des eaux pluviales, et ce, au sens de l'article 1465 du C.c.Q., la responsabilité pour le fait autonome d’un bien. Lorsque le préjudice est causé par le « fait autonome d'un bien », le débiteur de l’obligation doit démontrer l'absence de faute en vue de renverser la présomption de l'article 1465 du C.c.Q. Considérant la preuve documentaire, le juge n'a pas estimé que la quantité de pluie inhabituelle puisse constituer une force majeure de nature à exonérer la Ville (Québec (Ville de) c. Équipements E.M.U. ltée, EYB 2015-255551 (C.A. Que.) (Québec), paragraphes 134, 239, 242 et 246).
  • Une partie, ici une Ville, peut choisir de se retirer d’une nouvelle entente lorsqu’elle apprend que ses partenaires l'ont modifiée à son insu. L'appréciation d'une situation de force majeure ou de cause étrangère qui lui est assimilable est une question de fait laissée à l'appréciation du juge d'instance. La preuve d'un cas de force majeure est exigeante et requiert la démonstration de circonstances extraordinaires. Un événement sera imprévisible s'il « ne peut être raisonnablement envisagé par une personne normalement diligente et prévoyante ». De plus, un événement (ou une série d'événements regroupés) peut être qualifié d’irrésistible s'il rend l'exécution de la prestation absolument impossible, ce qui est ici le cas (Deux-Montagnes (Ville de) c. Saint-Joseph-du-Lac (Municipalité de), EYB 2015-251592 (C.A. Que.) (Deux-Montagnes), paragraphes 12, 22, 23 et 24).
  • Les soubresauts de la nature, comme événement de force majeure, rempliront rarement les exigences de l'article 1470 du C.c.Q. La couverture de neige et les pluies abondantes ne représentaient pas des événements imprévisibles. Par ailleurs, le glissement de terrain a été causé par une intervention humaine écartant ainsi le caractère irrésistible de l'événement (Entreprises Beau-Voir inc. c. Koninck, EYB 2014-235820, (C.A. Que.) (La Malbaie), paragraphes 8, 9 et 10).
Le principe est que les parties seront tenues à leurs obligations contractuelles et ne seront exonérées que si l'événement qui s'est produit relève carrément de la définition prévue à la clause de force majeure et que la partie qui cherche à invoquer la clause n'est pas elle-même responsable de l'échec (y compris se prévaloir de l’opportunité d'éviter la perte grâce à une atténuation raisonnable).

Analyse du libellé spécifique

Dans une grande mesure, les cas de force majeure dépendent fortement du libellé utilisé dans le contrat entre les parties. Cela limite l’importance du précédent de cas individuels dans la mesure où le libellé des clauses de force majeure varie souvent énormément (voir Tenneco, paragraphe 43) et que l’issue quant à l’interprétation de la clause dépend grandement du libellé. Ce qui suit passe en revue le libellé spécifique analysé par les tribunaux dans certaines des causes canadiennes les plus intéressantes en cette matière et leurs résultats.
Bien que le C.c.Q. prévoit que la force majeure est une cause d’exonération de responsabilité sans que les parties n’aient à insérer une clause spécifique à cet effet au contrat, ces décisions sont fort utiles dans l’interprétation de ce que constitue un événement imprévisible et irrésistible et également si le contrat est assujetti à une autre loi que le C.c.Q. De plus, il est de pratique courante au Québec d’insérer une clause de force majeure à un contrat et d’y énumérer les événements qui constituent un cas de force majeure.

Force majeure / Cas fortuit

(L’expression « act of God » n’existe pas en droit québécois bien qu’utilisée couramment en pratique. On peut aussi mentionner l’emploi de l’expression « catastrophe naturelle ». L’expression « cas fortuit » sera utilisée dans cette section.)
En 1961, un train du Chemin de fer du Canadien Pacifique (CFCP) transportant, entre autres, 18 wagons couverts chargés de blé a déraillé dans la partie de la Colombie-Britannique des Rocheuses, entraînant la perte de toute la cargaison. La cause du déraillement fut un glissement de boue. Bien que le conducteur ait vu le glissement, il n'a pas été en mesure d’arrêter le train à temps pour empêcher un basculement de la locomotive et 18 wagons hors des rails. Le CFCP transportait le blé en vertu d'un connaissement standard contenant la clause suivante :
Le transporteur ne sera pas responsable de la perte, du dommage ou retard du grain en vrac tel que décrit aux présentes, causé par un cas fortuit ... [Italiques ajoutés.]
Pour déterminer ce qu'est un « cas fortuit », le tribunal dans R. c. Canadian Pacific Railway, 1965 CarswellNat 332 (Can. Ex. Ct.) (CFCP) a consulté le Halsbury's Laws of England et le Black's Law Dictionary, qui ont souligné que le cas fortuit doit être attribué à l’intervention de causes purement naturelles et non découlant de l’action de l’être humain (CFCP, paragraphes 108 et 109). Le tribunal a semblé définir un « cas fortuit » plus largement comme « un événement ou une circonstance extraordinaire qui n'auraient pas pu être prévus et qu’on ne pouvait éviter » (CFCP, paragraphe 119). Appliquant cette définition, le tribunal a conclu que l'accident était prévisible et aurait pu être évité en utilisant des photographies aériennes de zones de montagne dangereuses et potentiellement dangereuses (CFCP, paragraphe 114).
Dans Jack c. Morehouse, 2014 CarswellYukon 97 (Y.T. S.C.) (Jack), un constructeur a accepté de construire un duplex à Whitehorse, dans le territoire du Yukon en vertu d'un contrat à prix fixe, qui contenait une clause de force majeure pour « retards causés par des catastrophes naturelles ». De plus, le constructeur pouvait résilier le contrat en cas de décès ou de blessure.
Peu de temps après la signature du contrat, le constructeur a été blessé dans un accident de la route. La construction a pris un sérieux retard. Le tribunal n'a pas trouvé de lien de causalité entre la blessure et les retards de construction parce que le constructeur a continué à travailler sur au moins un autre projet et a également accepté de nouveaux calendriers d'achèvement pour le duplex du demandeur. Le tribunal a conclu que l'accident n'était pas un cas fortuit et que la blessure n'avait pas rendu l'exécution impossible. La possibilité de blessure n'est pas quelque chose qui dépasse la prévision humaine (Jack, paragraphe 13).
Cependant, la défense de cas fortuit a été retenue dans Kilislian c. Copper Creek GP Inc., 2015 CarswellOnt 18498 (Ont. S.C.J.) (Kilislian), bien que l'affaire aurait pu être tranchée sur la seule base des pénuries de services publics (voir Pénurie de services publics). Dans Kilislian, une réception de mariage a été organisée sur un terrain de golf qui a été dévasté par un orage violent et de fortes rafales qui ont balayé le sud de l'Ontario en 2009, laissant environ 100 000 clients sans électricité, y compris l'exploitant du terrain de golf.
Le couple a intenté une action en dommages-intérêts. Le club a soulevé la clause d'exclusion suivante pour sa défense :
Nous ne serons pas responsables des dommages ou autrement dus à … des pénuries de services publics, des cas fortuits (catastrophes naturelles) ou toute autre cause indépendante de notre volonté. [Italiques ajoutés.]
Le tribunal a convenu que l'orage et les vents associés (les rafales les plus fortes enregistrées en plus de 30 ans) constituaient un événement inhabituel qui n'aurait pu être raisonnablement prévu ou prévenu, et qu'il s'agissait donc d'un cas fortuit (Kilislian, paragraphe 24).
La définition large du cas fortuit dans CFCP combinée à la rare occurrence naturelle dans Kilislian militerait sans doute pour l'inclusion d'une pandémie de l'ampleur de la COVID-19 comme cas fortuit. Le coronavirus n'est pas d'origine humaine.

Explosions

Voir un compte rendu de l'affaire TransCanada sous Grèves et interruptions de travail. Les explosions sont traitées dans cette Note de pratique à des fins d'exhaustivité uniquement.

Incapacité financière

L’affaire M.H. Hanna Co. v. Sydney Steel Corp., 1995 CarswellNS 45 (N.S. S.C.) (Hanna) impliquait un contrat pluriannuel pour la fourniture de boulettes de minerai de fer par le géant minier américain Hanna au fabricant d'acier en difficulté financière (aujourd'hui disparu), Sydney Steel Corporation (également appelée Sysco). Sysco était tenu d'acheter des quantités minimales de boulettes chaque année à l’inflexible « prix du lac Érié » de Hanna. Hanna avait un monopole situationnel et était inflexible dans son refus de faire des concessions de prix ou de volume en faveur de Sysco. Avec environ trois ans restant sur le contrat, Sysco a avisé le fournisseur d'un événement de force majeure, en se fondant sur la clause torturée suivante :
Si, en raison d'un empêchement de quelque nature que ce soit, y compris, mais non à titre limitatif, … d’un cas fortuit (une catastrophe naturelle) et toutes autres causes indépendantes de la volonté de l'acheteur …, y compris le défaut de la Compagnie minière Iron Ore du Canada de produire des quantités suffisantes de boulettes de minerai de fer pour remplir ce contrat et tous les autres contrats conclus par le vendeur; le vendeur ne peut livrer … ou l'acheteur ne peut prendre livraison en tout ou en partie, les deux parties seront dégagées de leur obligation… » [Italiques ajoutés.]
La cour a jugé que cette clause contenait un libellé large et était ambiguë. Cependant, cette ambiguïté doit être interprétée contre le rédacteur, Hanna. Rien dans la clause n'indiquait qu'elle ne prévoyait pas une incapacité financière à prendre livraison. Sans citer Atlantic Paper, le tribunal dans Hanna a estimé que la clause de force majeure déchargeait le client de ses autres responsabilités en vertu du contrat (Hanna, paragraphe 74).
L'ambiguïté du libellé et l'application de la règle contra proferentem se combinent pour donner au client une porte de sortie contractuelle. Les faits uniques de l'affaire ne lui donnent pas beaucoup de poids de précédent et son inclusion dans ce document est par souci d'exhaustivité.
Règle contra proferentem codifiée en droit québécois :
Dans le doute, le contrat s’interprète en faveur de celui qui a contracté l’obligation et contre celui qui l’a stipulée. Dans tous les cas, il s’interprète en faveur de l’adhérent ou du consommateur.
(Article 1432, C.c.Q.)

Autorité gouvernementale

Dans Hydro-Québec c. Churchill Falls (Labrador) Corp., 1985 CarswellQue 98 (C.A. Qué.)( EYB 1985-143933) (Hydro-Québec), le tribunal a examiné un contrat à long terme pour la fourniture d'électricité à Hydro-Québec qui comprenait la clause suivante :
Force Majeure signifie : (a) tout cas fortuit, acte d'une autorité gouvernementale,… et (b) ou toute autre cause d'incapacité à exécuter ou de retard dans l'exécution des obligations ci-dessous qui, dans chaque cas, échappe au contrôle raisonnable de la partie ou les parties concernées. [Italiques ajoutés.]
Force Majeure means:
any fortuitous event, act of governmental authority, act of public enemies, war, invasion or insurrection, riot, civil disturbance, labour trouble, strike, and
any flood, fire, shortage of labour, or of materials or of transport or other cause of inability to perform or delay in performing obligations hereunder which, in each such event, is beyond the reasonable control of the party or parties affected. (en anglais dans le jugement)
Le fournisseur a cherché à invoquer la force majeure. Cependant, la cour, citant Atlantic Paper, a statué que, malgré le libellé du contrat, une société d’État de Terre-Neuve-et-Labrador ne pouvait pas se réclamer d’un décret du gouvernement provincial, car il s'agissait d'une difficulté créée par le fournisseur (Hydro-Québec, paragraphe 57).
La seule mention, sans autre qualificatif, de « act of governmental authority » à la clause de force majeure ne saurait permettre qu'on modifie le texte, qu'on y ajoute ou y substitue pour lui faire dire ce qu'on n'a pas voulu clairement exprimer. Si cela est parfois possible dans l'interprétation d'autres conventions, cela ne l'est certainement pas ici au regard des textes pertinents et de toutes circonstances de l'espèce telles que révélées par la preuve (Hydro-Québec, paragraphe 40).

Non-disponibilité des marchés ou conditions économiques défavorables du marché

Dans Atlantic Paper, dont les faits sont résumés sous Principes d’interprétation, la clause de force majeure se lisait comme suit :
... sauf en cas de force majeure, d’ennemis publics ou de la reine, de la guerre, de l'autorité de la loi, des moyens de pression ou grèves du travail, de la destruction ou de l'endommagement des installations de production, ou de l'indisponibilité des marchés de la pâte à papier ou du carton ondulé. [Italiques ajoutés.]
La Cour suprême du Canada a appliqué la doctrine ejusdem generis (« de même genre ou de même nature ») pour limiter le libellé mis en italiques à un événement sur lequel le client n'exerçait aucun contrôle.
Les faits et la clause de force majeure en cause dans Domtar Inc. c. Univar Canada Ltd., 2011 CarswellBC 3501 (B.C. S.C.) (Domtar) sont résumés sous Problèmes d'approvisionnement en amont. En plus d'affirmer qu'il était en droit d'augmenter les prix en raison de la hausse du prix des matières premières (position qui a échoué), le fournisseur a fait valoir que la hausse sans précédent du prix du marché de la soude caustique constituait une « circonstance raisonnablement indépendante de sa volonté ». Cependant, conformément à Atlantic Paper, le tribunal dans Domtar a statué que la clause portait sur la capacité du fournisseur de fournir en totalité ou dans les quantités indiquées au contrat et non sur le prix de la soude caustique (Domtar, paragraphes 86, 90 et 91).
Cependant, un libellé différent dans la clause de force majeure a donné un résultat différent dans West Fraser Mills Ltd. c. Crown Zellerbach Canada Ltd., 1983 CarswellBC 541 (B.C. S.C.) (West Fraser). Là, le fournisseur, West Fraser, et le client, Crown Zellerbach, avaient conclu un contrat de trois ans pour la vente de pâte thermomécanique (PTM) devant être utilisée dans l'usine de papier du client à Elk Falls, en Colombie-Britannique. Le contrat contenait la disposition de force majeure suivante que le client a invoquée lorsqu'il y a eu un effondrement partiel du marché du papier journal pour les producteurs de la Colombie-Britannique au début de 1982 :
Si les installations de fabrication de papier de l'usine de pâte de l'Acheteur devaient être fermées ou affectées en raison d'un incendie, … des conditions du marché ou de toute autre cause, similaire ou non à ce qui précède, qui oblige l'Acheteur à réduire ou à interrompre son approvisionnement en pâte à son installation de fabrication de papier, l'Acheteur peut … suspendre entièrement son achat de PTM en vertu du présent Contrat ou réduire cet achat dans la mesure que l'Acheteur peut choisir…
Contrairement à la clause de force majeure examinée par la Cour suprême dans Atlantic Paper, la clause dans West Fraser indiquait clairement que les conditions du marché pouvaient obliger le client à réduire ou à interrompre la fourniture de pâte à son installation (West Fraser, paragraphes 25 à 27). De plus, le libellé de la clause dans West Fraser annulait l'application de la doctrine ejusdem generis appliquée par la cour dans Atlantic Paper (West Fraser, paragraphe 25). Par conséquent, le tribunal de West Fraser a conclu que les conditions du marché s'étaient tellement détériorées que le client était légalement en droit de suspendre d'autres livraisons en vertu du contrat (West Fraser, paragraphe 49).
Une clause de force majeure aussi large que celle dont est saisi le tribunal dans West Fraser est atypique et, par conséquent, l'affaire a une valeur de précédent limitée. Son inclusion dans cette Note de pratique est par souci d'exhaustivité.

Pandémie ; Restrictions gouvernementales

L’affaire Lebrun c. Voyages à rabais (9129-2367 Québec inc.), EYB 2010-351031 (C.Q.) (Lebrun) concernait un vol à destination du Mexique par un couple de Québécois en vacances, qui a été interrompu par une éclosion du virus H1N1 au Mexique. Le couple a acheté deux billets à l'agence de voyages le 15 avril 2009. Le vol a décollé le 23 avril et le couple devait revenir le 6 mai. Cependant, l'état d'urgence a été déclaré au Mexique le 25 avril, Air Canada a suspendu les vols vers le Mexique le 28 avril, l'Organisation mondiale de la santé a déclaré une pandémie imminente le 29 avril et, le 1er mai, le couple et d'autres ont été rapatriés au Canada par un vol affrété spécial. Le couple a poursuivi l'agence et la compagnie aérienne en dommages-intérêts.
Cependant, le tribunal a conclu, conformément à l'article 1470 du C.c.Q., que cet événement constituait un cas de force majeure au moment de la formation du contrat, car il était le fait d’un tiers ou étranger aux défendeurs, imprévisible et il était également irrésistible lors de l'exécution du contrat. L'événement a empêché les défendeurs de s'acquitter pleinement de leurs obligations. Une fois la force majeure prouvée, le tribunal a jugé que les conséquences prévues aux articles 1693 et 1694 du C.c.Q. s’appliquaient et a limité la responsabilité au coût du vol.
Lebrun semble être la seule décision canadienne portant sur une pandémie en tant qu'événement de force majeure, et elle a été tranchée en faveur des parties touchées.

Fermeture d’usine

Dans NewPage Port Hawkesbury Corp, Re, 2013 CarswellNS 248 (N.S. S.C.) (NewPage), le fournisseur, NewPage, a fourni des grumes à Ligni Bel Ltd. pour le fraisage en bois de colombage 2” x 4” et pour la fourniture de copeaux de bois par Ligni à NewPage. En temps opportun, NewPage a demandé la protection contre les créanciers en vertu de la Loi sur les arrangements avec les créanciers des compagnies, L.R.C. (1985), ch. C-36 (LACC) et Ligni a déposé une preuve de sinistre de plus de 33 millions de dollars. La convention d’approvisionnement en fibres entre les parties contenait la clause de force majeure suivante :
Un événement de force majeure signifie tout événement ou circonstance qui empêche l'une ou l'autre des parties d'exécuter tout ou partie de ses obligations en vertu de la présente convention et qui est hors du contrôle raisonnable de la partie affectée, y compris … ou toute cause similaire à ce qui précède (à l'exception de l'absence de finances et/ou financement) et qui est hors du contrôle raisonnable de la partie affectée, et comprend également une fermeture temporaire ou permanente ou une opération réduite de tout ou partie de la scierie ou de la papeterie pour des raisons opérationnelles, économiques ou autres que ce soit ou non sous le contrôle de la partie affectée. [Caractères gras dans l'original; italiques ajoutés.]
L'agent des réclamations en vertu de la LACC nommé par le tribunal a simplement conclu que les mots en italique décrivaient exactement ce qui s'était passé. Une fois la demande en vertu de la LACC déposée, NewPage était hors de l'entreprise décrite dans le contrat et il n'y avait aucun moyen pour elle de reprendre raisonnablement l’exécution de ses obligations (NewPage, paragraphe 28).
Une clause de force majeure aussi large que celle soumise au tribunal dans NewPage est atypique et, par conséquent, l'affaire a une valeur de précédent limitée. Son inclusion dans cette Note de pratique est par souci d'exhaustivité.

Ennemis publics ou de la reine

Fishery Products International Ltd. c. Midland Transport Ltd., 1994 CarswellNfld 313 (Nfld. CA) (Fishery Products) impliquait un ensemble de connaissements standards pour le transport de poisson frais de Marystown, Terre-Neuve, à Québec, Montréal, Ottawa et Toronto. Deux camions ont été retenus pendant plus de 24 heures dans un blocage routier causé par des chauffeurs de camion indépendants qui protestaient contre des taxes élevées et d'autres politiques gouvernementales qu'ils estimaient défavorables à l'industrie. Après avoir été poursuivi, le transporteur a cherché à invoquer la clause d'exclusion de responsabilité suivante :
Le transporteur ne sera pas tenu responsable de la perte, du dommage ou du retard de l'une des marchandises décrites dans le connaissement causé par … des ennemis publics ou de la reine, … des grèves, … [Italiques ajoutés.]
La cour a statué que les termes bien établis « ennemis de la reine » et « ennemis publics » sont limités à toute nation en guerre avec le Canada et aux citoyens de cette nation hostile et ne s'étendent pas aux pillards armés ou, dans ce cas, aux actes de camionneurs indépendants participant à une manifestation politique (Fishery Products, paragraphes 26 à 28).
Les ennemis publics sont traités dans cette Note de pratique uniquement à des fins d'exhaustivité.

Grèves et interruptions de travail

L’affaire TransCanada concernait un contrat de fourniture de gaz naturel par le fournisseur, TransCanada, à un distributeur, Northern & Central Gas, qui, à son tour, a sous-distribué le gaz à ses clients, dont l'un a subi une explosion et quatre autres ont connu des grèves, événements qui ont tous entraîné une baisse de la demande de gaz. Northern a cherché à invoquer une clause de force majeure qui se lisait en partie comme suit :
Le terme « force majeure » désigne … les grèves, … les explosions, … d'un fournisseur de gaz de ou d'un transporteur de gaz de ou pour [TransCanada] et toute autre cause similaire échappant au contrôle de la partie qui demande la suspension et qui malgré l’exercice d’une diligence raisonnable, cette partie est incapable d’empêcher ou de surmonter. [Italiques ajoutés.]
Le tribunal a jugé significatif que la clause exempte TransCanada de l'exécution de ses obligations en cas de grèves et d'explosions chez ses fournisseurs en amont alors que le contrat ne contenait aucune clause comparable exonérant Northern de ses obligations en cas de grèves ou d'explosions dans les locaux de ses clients. La clause a été interprétée comme limitée aux événements de force majeure survenant chez Northern et non chez ses clients. TransCanada n'exerçait aucun contrôle sur les contrats conclus par Northern avec ses clients et le contrat ne devrait pas être interprété de telle sorte que Northern obtienne une assurance contre les pertes d'exploitation de TransCanada.
Les faits et la clause de force majeure mise en relief devant le tribunal dans Fishery Products sont examinés sous Ennemis publics ou de la reine. En plus d'exclure l'applicabilité de l'exclusion des actes des ennemis publics ou de la reine, la cour a statué que c'était une exigence fondamentale qu'une grève soit menée par des employés agissant de concert. Les camionneurs indépendants agissant de concert ne relevaient pas des événements de force majeure définis (Fishery Products, paragraphes 22 et 23).
Les tribunaux de la Colombie-Britannique ont adopté une vision plus large de l'interprétation des grèves comme événements de force majeure que celles mises en preuve dans TransCanada.
Premièrement, MacMillan Bloedel Ltd. c. British Columbia Hydro & Power Authority, 1992 CarswellBC 304 (B.C. C.A.) (MacMillan) impliquait un contrat pour la fourniture de quantités mensuelles minimales d'électricité à deux usines de pâtes et papiers appartenant à McMillan Bloedel en Colombie-Britannique. Les deux usines ont été temporairement fermées en raison de grèves illégales, au cours desquelles les travailleurs de McMillan Bloedel ont protesté contre la promulgation proposée de législation provinciale en matière de travail. Le contrat contenait la clause suivante, que le client souhaitait invoquer :
… si [le client] établit qu'il … a été contraint par … lock-out légal de tous les employés d'une ou de plusieurs unités de négociation de l'usine [du client] ou une grève survenue dans les établissements … alimentés en électricité en vertu des présentes, … [Italiques ajoutés.]
Le fournisseur, B.C. Hydro, a soutenu que le mot « grève » ne devrait référer qu'aux « grèves légales » et, par conséquent, que les grèves illégales n'étaient pas visées par la clause (MacMillan, paragraphe 10). Sans citer TransCanada, le tribunal a statué que le sens naturel et ordinaire du mot « grève » inclut le concept de grève générale dans lequel il y a cessation de travail des employés, quel que soit le but ultime de la grève (MacMillan, paragraphes 36 et 39 ). Un argument ajoutant un poids supplémentaire à cette interprétation était que la définition de la force majeure n'incluait que les lock-out légaux (parce que le fournisseur pouvait contrôler les lock-out), mais ne limitait pas les grèves de la même manière (MacMillan, paragraphe 40).
Dans la deuxième affaire, Tenneco, la Cour d'appel de la Colombie-Britannique a élargi davantage le sens du terme « grève ». Tenneco, un fabricant de chlorate de sodium utilisé pour le blanchiment par les usines de pulpe, a accepté d'acheter des quantités minimales d'électricité chaque mois de B.C. Hydro. Cependant, les syndicats représentant les travailleurs de toutes les usines de pulpe de la Colombie-Britannique, y compris tous les principaux clients de Tenneco, ont déclenché une grève qui a duré environ cinq semaines. Pendant cette période, les lignes de production de Tenneco ont cessé de fonctionner et sa consommation d'électricité est tombée à un niveau presque négligeable. Tenneco a cherché à invoquer la clause de force majeure suivante :
… l’expression Force Majeure inclut, mais sans s'y limiter, les grèves, lock-out légaux, autres interruptions du travail … ou toute autre cause que ce soit, hors du contrôle raisonnable des parties, à condition qu'en aucun cas … la perte de marchés de l'une ou l'autre des parties constitue une Force Majeure. [Italiques ajoutés.]
Distinguant TransCanada principalement du fait qu'elle exemptait expressément le fournisseur des perturbations d'approvisionnement en amont, mais pas le client en cas de perturbations en aval, le tribunal dans Tenneco a statué que le sens naturel et ordinaire du mot « grève » ne le limite pas aux perturbations du travail propre au personnel d’une partie, mais peut s'étendre à la main-d'œuvre des clients en aval (Tenneco, paragraphe 43).
En ce qui concerne les exclusions, les événements de force majeure énumérés pourraient entraîner une certaine perte de marché. Si l'exclusion pour perte de marché n'était pas interprétée de manière restrictive, les événements de force majeure énumérés ne se produiraient, en pratique, jamais (Tenneco, paragraphe 47). Le tribunal a interprété l'exclusion comme faisant référence à des changements dans le climat général des affaires ou à des changements à long terme de la compétitivité qui sont ou devraient être sous le contrôle d'une partie, comme la perte d'un client par la concurrence, une incapacité à produire du chlorate de sodium en raison d'un manque de moyens financiers ou d'un ralentissement des ventes de pulpe, réduisant ainsi les achats de chlorate de sodium par les usines de pulpe (Tenneco, paragraphe 47).
Bien que traiter les grèves et les interruptions de travail comme des événements de force majeure puisse paraître très éloigné de la manière dont une pandémie serait catégorisée, cela illustre la question plus large de savoir si l'événement de force majeure doit survenir chez la partie contractante ou s'il s'étend également aux perturbations en amont (en cas des fournisseurs) ou des perturbations en aval (dans le cas des revendeurs et distributeurs). Une pandémie ne fait pas de discrimination, il semble donc qu'il faudrait un libellé inhabituel (comme celui que l'on trouve dans TransCanada) pour limiter la portée de la clause.
En matière de grèves et d’interruptions de travail, les décisions suivantes sont également d’intérêt. Elles sont ajoutées à des fins d’exhaustivité.
Dans 9193383 Canada inc. c. Société du Vieux-Port de Montréal inc., EYB 2020-346155 (C.S. Que.) (SVPM), la demanderesse (9193383) prétend que SVPM n'a pas rempli ses obligations pendant la saison estivale 2016 à titre de bailleur en lui refusant la jouissance libre et paisible des lieux loués et des aménagements approuvés qui se trouvent à la Plage de l'Horloge dans le Vieux-Port de Montréal. Elle réclame le gain dont elle a été privée et les dommages pour la perte d'inventaire, les frais payés d'avance et les inconvénients. En 2016, une grève a cours chez les employés de SVPM et celle-ci plaide à titre subsidiaire que de toute façon, la grève constituant une force majeure au sens du Bail, elle est présumée ne pas être en défaut de ses obligations envers 9193383.
Dans l’analyse pour déterminer si la grève constitue un cas de force majeure, il faut aussi tenir compte du comportement de la défenderesse ainsi que du maintien ou non de certains services aux usagers sur les lieux en question durant la grève. Le tribunal utilise même des dispositions prévues au Code canadien du travail, L.R.C. (1985), ch. L-2 (CCT) pour l’aider dans son analyse.
Le tribunal arrive à la conclusion que bien que la grève soit énumérée à la clause de force majeure, encore faut-il que l’inexécution des obligations de SVPM y soit reliée, ce qui n’est pas le cas en l’espèce.
C'est sa position sur les activités de la demanderesse qui explique son refus de rendre la plage accessible, et non la grève (SVPM, paragraphe 95).
Voici un rappel des faits fort utile également pour l’analyse de ce qui constitue un cas de force majeure en vertu du C.c.Q.
La clause de force majeure et la grève des employés syndiqués de la SVPM écartent-elles tout recours contre la SVPM pour la non-exécution des obligations en vertu du Bail ?
En présence d'une obligation de moyens ou de résultats, l'article 1470 du C.c.Q. offre un moyen de défense à une partie afin de se dégager de sa responsabilité pour le préjudice causé à autrui si elle prouve que le préjudice résulte d'une force majeure.
Afin d'établir la force majeure, le débiteur doit d'abord démontrer que l'événement est imprévisible pour une personne raisonnablement ou normalement prudente, diligente, c'est-à-dire impossible et non seulement difficile pour une personne prévoyante, placée dans les mêmes circonstances. Elle doit aussi démontrer que l'événement est irrésistible quant à sa survenance et quant à ses effets, c'est-à-dire qu'elle empêche l'exécution de l'obligation de manière absolue et permanente. La jurisprudence se montre exigeante quant à la preuve de ces deux conditions et le fardeau de la preuve repose sur les épaules du demandeur.
En présence d'une force majeure, le débiteur est libéré, même s'il est en demeure, lorsque le créancier n'aurait pu, de toute façon, bénéficier de l'exécution de l'obligation en raison de cette force majeure. Ainsi, même si la SVPM est en défaut d'accorder la libre jouissance du Mobilier sur la Plage en expédiant le courriel du 13 avril 2016, si une force majeure intervient par la suite, elle peut être invoquée comme moyen de défense par la SVPM.
Cependant, une grève n'est pas nécessairement un cas de force majeure, mais elle peut le devenir « suivant les circonstances propres de l'affaire et sa conformité aux conditions d'imprévisibilité et d'irrésistibilité ».
Il est loisible aux parties de « stipuler dans le contrat leur propre définition de la force majeure ainsi que son régime ». C'est effectivement ce que les parties font à l'article 28.9 du Bail :
28.9 FORCE MAJEURE
Sauf s'il s'agit du paiement d'une somme d'argent, chaque fois que le Bail prévoit qu'une obligation doit être accomplie, elle doit l'être sous réserve de tout délai occasionné par cas fortuit, force majeure, grève, lock-out, conflit ouvrier, impossibilité de se procurer des matériaux, règlements ou ordonnances gouvernementaux restrictifs, faillite d'entrepreneurs ou par toute autre condition, qu'elle soit ou non de la nature des événements susmentionnés (à l'exception de la situation financière de l'une ou l'autre des parties), qui est raisonnablement indépendante de la volonté du Bailleur ou du Locataire, selon le cas (« Force majeure »). Le Locataire et le Bailleur seront présumés ne pas être en défaut d'accomplir une obligation prévue aux présentes s'ils en sont empêchés par Force majeure. Le Locataire et le Bailleur s'aviseront respectivement sans délai de toute Force majeure. [Soulignés du tribunal.]
L'article 28.9 du Bail clarifie donc ce qui autrement aurait pu être un cas « limite » et adopte un concept plus « extensif » de la force majeure en plaçant la grève au rang des événements dégageant la SVPM d'une éventuelle responsabilité.
Il n'en demeure que bien que la SVPM ne doit pas démontrer que la grève était imprévisible ou irrésistible, elle a toujours le fardeau de démontrer qu'elle a été « empêchée » d'accomplir son obligation pour que le tribunal conclue qu'elle n'est pas en défaut. Tel que le prévoit le deuxième alinéa de l'article 2803 du C.c.Q. : « Celui qui prétend qu'un droit est nul, a été modifié ou éteint doit prouver les faits sur lesquels sa prétention est fondée. »
Les employés syndiqués du SVPM enclenchent une grève le 27 mai 2016. Cette grève se poursuivra pour la durée du Bail.
Selon la SVPM, il s'agit donc d'un cas de force majeure explicitement énuméré à l'article 28.9 du Bail et, de ce fait, elle est présumée ne pas être en défaut de ses obligations.
Il est vrai que la SVPM, le syndicat et les employés de l'unité de négociation ne sont pas tenus de maintenir les activités de la plage par la loi, car sa fermeture n'entraîne pas de risques imminents pour la santé et la sécurité du public au sens de l'article 87.4 du CCT. La SVPM est-elle pour autant empêchée d'exécuter ses obligations par cette grève ?
La SVPM a plaidé d'abord que le article 94(2.1) du CCT interdit à l'employeur de faire usage de personnel de remplacement. Subsidiairement, elle plaide que la demanderesse n'a pas démontré que la situation entre dans le cas de figure prévu à l'article 94(2.1) du CCT qui l'autorise à faire appel à du personnel de remplacement. De ce fait, elle conclut qu'elle est empêchée de remplir ses obligations au sens de l'article 28.9 du Bail.
Le tribunal conclut que ce raisonnement n'est pas fondé.
L'article 94(2.1) du CCT adopté en 1999, qui gouverne l'utilisation de personnel de remplacement durant une grève, se lit ainsi :
Il est interdit à tout employeur ou quiconque agit pour son compte d'utiliser, dans le but établi de miner la capacité de représentation d'un syndicat plutôt que pour atteindre des objectifs légitimes de négociation, les services de toute personne qui n'était pas un employé de l'unité de négociation à la date de remise de l'avis de négociation collective et qui a été par la suite engagée ou désignée pour exécuter la totalité ou une partie des tâches d'un employé de l'unité de négociation visée par une grève ou un lock-out.
L'adoption de l'article 94(2.1) du CCT vient limiter le droit de faire appel au personnel de remplacement, mais ne l'interdit pas. Il y a des critères à respecter.
C’est en appliquant ces critères que la SVPM doit convaincre le tribunal que le syndicat aurait été en mesure de convaincre un tribunal qu'en laissant la demanderesse exploiter son commerce sur la plage, cela aurait constitué une tactique de négociation de mauvaise foi dont l'objectif est de « miner la capacité de représentation d'un syndicat ».
Il ressort de ce qui précède que la SVPM a une certaine marge de manœuvre et que la question du maintien durant l'opération des différentes activités du Vieux-Port ne trouve pas une réponse unique. Ce sont soit des cadres, du personnel de sécurité de firme externe ou des travailleurs de l'entretien de tiers qui permettent aux opérations d'être maintenues. Seules les opérations de l'aile ouest sont fermées pour la durée du conflit.
Il n'y a pas d'empêchement au sens de l'article 28.9 du Bail. Le tribunal est plutôt d'avis qu'il est incontournable que la SVPM prenne la décision de ne plus permettre la vente de produits sur la plage avant la saison 2016. En conséquence, elle ne voit aucune nécessité de trouver les moyens durant la grève, comme elle l'a fait pour le O'Quai Bistro ou le Port de l'escale, de permettre à la demanderesse d'exploiter son commerce sur la plage. Selon elle, la plage et les points de vente ne font pas partie des Lieux loués. La demanderesse peut continuer à exploiter son commerce pendant la grève en utilisant les portes menant sur la terrasse à l'extérieur de la zone clôturée et qui se trouve, à toutes fins utiles, dans l'aire d'un grand stationnement. C'est sa position sur les activités de la demanderesse qui explique son refus de rendre la plage accessible, et non la grève. Cela explique donc qu'elle n'a fait aucun effort de placer soit du personnel-cadre ou des fournisseurs de services dans la guérite ou encore de laisser la demanderesse l'exploiter.
Le tribunal conclut toutefois qu'il y avait un tel empêchement lors du déclenchement de la grève et jusqu'au 30 juin, moment auquel le O'Quai Bistro et les commerces de la foire alimentaire ont eu plein accès aux toilettes et à la sécurité. En effet, le tribunal reconnaît qu'une période d'adaptation était requise et que les solutions n'auraient pas pu être déployées dès le premier jour. Rendu au 30 juin, tout aurait pu être mis en place si la volonté y était.
Le tribunal conclut que la SVPM n'a pas démontré que les conditions de l'article 28.9 du Bail sont remplies en l'instance.
Dans Biondi c. Syndicat des cols bleus regroupés de Montréal (SCFP-301), EYB 2010-178795 (C.S. Que.) (Biondi), une demande en recours collectif basée sur les agissements présumément fautifs du Syndicat des cols bleus regroupés de Montréal (SCFP-301) (le Syndicat) et de la Ville de Montréal (la Ville), la demanderesse les poursuit solidairement et réclame, pour les membres du groupe, une somme de deux millions de dollars à titre de dommages punitifs.
Entre le 5 et le 12 décembre 2004, les membres du Syndicat entreprennent des moyens de pression afin de manifester leur mécontentement. Les différents moyens de pression ont pour effet de retarder les opérations de déglaçage des trottoirs et d'épandage d'abrasifs sur la chaussée et les trottoirs dans l'arrondissement Ville-Marie.
Le 6 décembre 2004, alors qu'elle se rend à un rendez-vous, la demanderesse tombe violemment face première sur le trottoir glacé au centre-ville. Cette chute lui occasionne ecchymoses, saignements de nez et maux de tête. À la suite de sa chute, la demanderesse souffre de violents maux de tête et n'est pas en mesure de reprendre le travail durant plusieurs semaines.
La Ville soutient avoir pris tous les moyens légaux mis à sa disposition pour s'assurer que les cols bleus reprennent leur travail et cessent leurs mesures d'intimidation. De plus, elle fait valoir qu'on ne peut lui reprocher d'avoir décidé d'appliquer une sentence arbitrale à la date où elle devait être mise en vigueur. En dernière analyse, elle maintient que les moyens de pression des cols bleus constituaient une situation de force majeure. Elle affirme qu’elle doit être exonérée en raison de la force majeure que constituent les moyens de pression des employés cols bleus.
La Ville soutient qu'elle ne pouvait prévoir les moyens de pression des cols bleus. Or, cela ne concorde pas avec la preuve. Ces moyens de pression n'étaient pas seulement prévisibles. Ils avaient été anticipés et la façon de les contrer était prévue.
La Ville savait que l'imposition d'un nouveau mode de répartition allait provoquer un tollé. En toute connaissance de cause, elle avait décidé de s'en remettre au Conseil des services essentiels et, par la suite, à la Cour supérieure pour exercer son autorité. D'où l'extrême laxisme dont elle a fait preuve.
La Ville maintient qu'elle ne pouvait prévoir que ses employés cols bleus ne respecteraient pas les ordonnances du Conseil. Cela aussi était prévisible et la Ville n'a pas su expliquer au tribunal de façon convaincante pourquoi elle n'a ni communiqué avec les dirigeants syndicaux à la suite de la décision du Conseil ni intenté des procédures en outrage contre chacun des récalcitrants. Par ailleurs, pourquoi la Ville n'a-t-elle pas attendu au vendredi pour signifier à chacun d'entre eux des procédures en injonction ? Cette question aussi est demeurée sans réponse.
Contrairement à ce qu'elle soutient, la Ville n'a rien fait pour faire cesser les moyens de pression, sauf de s'en remettre au Conseil, en espérant que ce dernier puisse exercer la discipline à sa place. Parler ici d'irrésistibilité face aux moyens de pression des membres du Syndicat frise l'angélisme (Biondi, paragraphe 128).

Approbation par un tiers

L’affaire Cressey impliquait l'achat de 90 acres de terrain à North Vancouver pour un développement résidentiel. Cependant, l'acquéreur a connu des retards dans l'obtention du changement de zonage nécessaire pour le développement qu'il envisageait et les coûts et frais financiers de la propriété sont devenus écrasants. Entre autres, l'acheteur a cherché à invoquer la clause de force majeure suivante :
Si, en raison d'une grève, … ou de tout acte ou omission d'un tiers, raisonnablement indépendant de la volonté de … Cressey, Cressey … est retardé dans l'exécution de toute obligation en vertu du présent accord, le délai pour compléter ou exécuter cette obligation sera prolongé … [Italiques ajoutés.]
Cependant, le tribunal a estimé que rien dans l'accord ne subordonnait les paiements au zonage, au lotissement ou à la vente des lots (Cressey, paragraphe 30). L'acheteur a acheté le terrain avant que son zonage soit modifié à des fins résidentielles avec les risques que cela comportait (Cressey, paragraphe 36). Bien que l'acheteur n'ait pas établi que l'absence de changement de zonage relevait de la clause de force majeure, il a réussi sur le motif alternatif de la frustration de son intention contractuelle (Cressey, paragraphes 47 à 50).
Les approbations par un tiers sont traitées dans la présente Note de pratique à des fins d'exhaustivité uniquement.

Problèmes d'approvisionnement en amont

Domtar a conclu un contrat de trois ans pour la fourniture de soude caustique par Univar à l'usine de pâtes et papiers de Domtar à Kamloops, en Colombie-Britannique. Pendant la durée du contrat, deux événements importants se sont produits. Premièrement, le fournisseur initial en vertu du contrat, Dow Chemical, a cédé le contrat à Univar et, deuxièmement, le prix mondial de la soude caustique a ensuite augmenté de manière significative. Le fournisseur a déclaré un événement de force majeure au motif qu'il ne pouvait pas fournir de soude caustique à des conditions commercialement acceptables, cherchant à invoquer la clause suivante :
L'exécution sera exonérée, et les parties ne seront pas responsables de tout manquement à l'exécution en vertu du présent Contrat, lorsque (1) une telle exécution est empêchée ou retardée par une cause ou une condition de force majeure, ou (2) le Fournisseur … est incapable, malgré des efforts diligents pour ce faire, d’obtenir des matières premières ou de l'énergie aux conditions que le Fournisseur juge acceptables sur le plan commercial. Le terme « force majeure » désigne toute éventualité échappant au contrôle raisonnable du Fournisseur … (par exemple, guerre, …) qui interfère avec … la production, l’approvisionnement, le transport ou les pratiques de consommation du Fournisseur. … Le fournisseur ne sera pas obligé d’obtenir les matières premières ou les Produits d’autres sources en cas d’insuffisance, malgré des efforts commercialement raisonnables pour le faire, … [Soulignement dans l’original; italiques ajoutés.]
Le tribunal a estimé que les « matières premières » ne comprenaient pas la soude caustique elle-même, car cela modifierait considérablement l'objet du contrat (Domtar, paragraphes 59 et 65). Dow était un fabricant de produits chimiques intégré et produisait de la soude caustique par des procédés chimiques. Cependant, le cessionnaire, Univar, était simplement un distributeur, et non un fabricant, de soude caustique. Le terme « matières premières » n’a pas été étendu pour couvrir le produit livrable lui-même simplement parce que le contrat était cédé d'un fabricant à un distributeur.
Dans l’affaire Bodycote, essais de matériaux Canada inc. c. Fromagerie de l'Alpage inc., 23 février 2006, Cour supérieure, EYB 2006-104419 (C.S. Que.) (Bodycote), le tribunal devait entre autres déterminer si le manque de matériel requis pour effectuer des analyses de laboratoires relevait d’un cas de force majeure.
Le tribunal rappelle d'abord que le manque de matériel approprié pour exécuter le contrat n'est pas une excuse permettant d'exonérer Bodycote de son obligation. La situation de pénurie alléguée par Bodycote ne constitue pas une force majeure au sens de l'article 1470 du C.c.Q.
En droit québécois, l’existence de trois éléments doit être démontrée pour prouver la force majeure. L’événement se doit d'être extérieur au débiteur, imprévisible et irrésistible. La force majeure est difficile à établir et est accueillie avec une certaine retenue par les tribunaux.
En l'espèce, la pénurie de matériel invoquée par Bodycote ne lui est pas extérieure, puisqu'elle fait partie de sa zone d'activité usuelle. D'autre part, la preuve n'a pas établi que cette pénurie de matériel ne pouvait raisonnablement être prévue par Bodycote au moment de la conclusion du contrat. Même si les tribunaux doivent éviter d'être trop exigeants sur cette condition d'existence de la force majeure pour ne pas en restreindre indûment la portée, le tribunal est d'avis que la condition d'imprévisibilité n'a pas été établie à sa satisfaction (Bodycote, paragraphe 39). Le tribunal considère donc qu'il n'y a pas eu de force majeure et que cette excuse ne peut exonérer Bodycote de son inexécution contractuelle envers l'Alpage.
Dans des circonstances appropriées, la COVID-19 pourrait créer des problèmes d'approvisionnement en amont répondant au libellé spécifique d'un événement de force majeure défini.

Pénurie de services publics

Les faits de l'affaire Kilislian sont résumés sous Force majeure / Cas fortuit. Le tribunal a rejeté l'argument selon lequel les effets de l'orage et des vents violents auraient été évités si le terrain de golf avait installé une génératrice de secours. L'exclusion de la responsabilité en cas de pénurie de services publics n'aurait pas été nécessaire, car il n'aurait jamais été nécessaire de se préoccuper d'une pénurie de services publics d'électricité (Kilislian, paragraphe 16). Le terrain de golf n'avait pas indiqué dans le contrat qu'il utilisait une génératrice de secours.
Une décision récente d’un tribunal d’arbitrage québécois est intéressante sur ce point. Dans Syndicat des salariés du bois ouvré de Lac Mégantic (C.S.D.) c. Corporation internationale Masonite, EYB 2015-251962 (T.A. Qué.) (Masonite), le syndicat reproche à l'employeur de ne pas avoir payé certaines heures de travail. Une panne d'électricité a touché l'usine peu de temps avant l'arrivée des travailleurs le matin. Ne pouvant travailler, l'employeur leur a demandé de revenir l'après-midi, ce qu'ils ont fait. Finalement, les heures travaillées en après-midi ont été rémunérées et seulement un peu plus d'une heure a été payée pour la matinée. Le syndicat réclame le paiement de l'entière matinée de travail, car selon lui, la convention collective dispose que le salarié qui se rend au travail sans être avisé par l'employeur que ses services ne sont pas requis a droit au paiement de quatre heures de travail.
L'article 6.2.5 de la convention collective prévoit pour l'employeur deux obligations :
1. Celle d'aviser le salarié, avant le début de son horaire habituel, que ses services ne sont pas requis en raison de panne d'électricité, de bris majeur ou tout autre motif ;
2. Celle de payer au salarié qui se rend au travail selon son horaire habituel et qui n'a pas été ainsi avisé par l'employeur, une somme équivalente à quatre heures de travail au taux de salaire effectif.
Pour cette deuxième obligation, l'employeur ne peut opposer que la panne d'électricité constitue une force majeure et qu'il est donc dispensé de l'exécuter en vertu de l'article 1470 du C.c.Q. Au contraire, par cet article 6.2.5, l'employeur, relativement à cette obligation (considérée isolément) de payer l'équivalent de quatre heures de travail, a renoncé à soulever la force majeure en cas de panne d'électricité, et il s'est même lié par une obligation de garantie.
Toutefois, concernant la première obligation et c’est ce qui est intéressant dans cette affaire, celle d'aviser le salarié avant le début de son horaire habituel que ses services ne sont pas requis en raison de panne d'électricité, de bris majeur ou tout autre motif, il faut également, pour son interprétation et application, prendre en compte l'article 1470 du C.c.Q. En effet, en vertu du préambule du C.c.Q., le Code civil constitue le « fondement du droit privé » et a une « position privilégiée dans l'ensemble de notre système législatif » (Masonite, paragraphe 20). L'article 1470 du C.c.Q. concernant la force majeure comme cas d'exonération de responsabilité ou comme excuse en cas d'inexécution d'une obligation s'applique donc à une disposition d'une convention collective qui constitue du droit privé.
Le tribunal considère que, si l'obligation d'aviser qui repose sur l'employeur est clairement stipulée dans la convention, elle doit être analysée dans le cadre de l'article 1470 du C.c.Q., qui porte sur les cas de force majeure. En conséquence, la force majeure, si ces conditions d'application sont réunies, est un cas d'exonération de responsabilité en cas d'inexécution d'une obligation. Par ailleurs, selon la jurisprudence, l'obligation d'aviser les salariés n'existe que lorsque l'employeur est dans une situation où il peut connaître « l'ampleur et la gravité du problème ». En l'espèce, la panne d'électricité est survenue quelques minutes avant l'arrivée des employés. Il ressort de la preuve que l'employeur a agi avec diligence pour essayer de régler la situation. Pour ces motifs, le tribunal estime que non seulement le peu de temps écoulé entre la panne et le début du quart de travail a constitué une force majeure qui a empêché l'employeur d'aviser les salariés en temps utile, mais également que l'obligation d'aviser n'existait pas avant que l'employeur soit correctement informé de la situation. Le grief est donc rejeté.
En conséquence, si, selon la preuve, l'employeur n'était pas en mesure d'exécuter cette obligation d'aviser, en raison d'une force majeure, il sera exonéré de sa responsabilité, il ne sera pas obligé au paiement de l'équivalent de quatre heures de travail. Cela n'aurait pas été évidemment le cas si, par exemple, la panne d'électricité avait commencé dans la soirée de la veille (le 20 octobre 2013) et que, dès le départ, Hydro-Québec avait informé l'employeur qu'elle durerait au moins jusqu'à 11 h le lendemain (Masonite, paragraphe 21).
Mais qu'en est-il dans les circonstances précises de la présente affaire ? La panne a commencé à 6 h 33 le 21 octobre 2013. Par force majeure, vu le peu de temps entre 6 h 33 et le début du quart à 7 h, il était alors impossible pour l'employeur d'aviser les salariés avant le début du quart, et d'ailleurs quelques-uns étaient déjà rendus à l'usine. D'ailleurs, comme on le verra, cette obligation d'aviser n'existait pas dès ce moment-là. La preuve révèle que, de 6 h 35 à 8 h 10, les représentants de l'employeur ont agi avec diligence pour obtenir les informations nécessaires auprès d'Hydro-Québec et qu'ils étaient manifestement dans une situation où ils ne pouvaient, de façon raisonnable, aviser les salariés avant le début du quart (Masonite, paragraphe 22). Dans toute cette opération, l'employeur a été en tout point diligent, notamment en faisant les appels nécessaires auprès d'Hydro-Québec. Et dès qu'il a eu en main les informations nécessaires, il a tout de suite libéré les salariés (Masonite, paragraphe 23).
Les pénuries de services publics sont examinées dans cette Note de pratique à des fins d'exhaustivité uniquement.

Conditions climatiques / Inondations

Voir l’analyse de l'affaire Kilislian sous Force majeure / Cas fortuit et l'affaire Morris sous Autres causes indépendantes de la volonté d'une partie. Les conditions météorologiques sont très éloignées d'une pandémie (bien que les cas fortuits et la clause de force majeure soient essentiels).
Dans Coffrage Alliance ltée c. Procureure générale du Québec, EYB 2018-300334 (C.S. Que.) (Coffrage), la cour devait déterminer si la réclamation de Coffrage pour les délais supplémentaires reliés à des conditions climatiques extrêmes, à des travaux en conditions hivernales et à des travaux temporaires était bien fondée.
Coffrage Alliance ltée est une entreprise de construction spécialisée en travaux de béton. À la suite de la réalisation de travaux de démolition et de construction d'un pont en 2011, Coffrage réclame du ministère des Transports (MTQ) un montant de 571 567,79 $ en recouvrement de pénalités contractuelles et en paiement de jours additionnels, de matériau de remblai et de dommages.
Le MTQ soutient qu'aucune somme n'est due à Coffrage et qu’entre autres, celle-ci est l'auteure des préjudices qu'elle allègue en raison de sa gestion des travaux et de l'échéancier.
Coffrage plaide que des événements climatiques exceptionnels et successifs, survenus entre le 28 août et le 17 octobre 2011 ont causé des retards qui ne lui sont pas imputables. Par conséquent, la période d'exécution des travaux a dû être prolongée au-delà de la date butoir. Coffrage a dû exécuter des travaux de bétonnage par temps froid, des travaux additionnels non prévus au contrat et des travaux permanents au printemps 2012.
Le MTQ réplique que les conditions climatiques soulevées par Coffrage n'ont rien d'exceptionnel, que les batardeaux et la plateforme de travail sont installés à des niveaux insuffisants et voués à être inondés et que de nombreux retards dans l'exécution des travaux, tant avant qu'après les événements climatiques, sont imputables à Coffrage.
Coffrage soutient que les événements météorologiques de la fin août à la mi-octobre 2011, au cours desquels cinq épisodes successifs de pluie importante ont conduit à de rapides augmentations du débit de la rivière, sont exceptionnels, imprévisibles et constituent une situation de force majeure. À cette période de l'année, il y avait un risque ayant une récurrence de deux ans que les batardeaux soient inondés. Une séquence de cinq événements extrêmes successifs constitue une « anomalie exceptionnelle » et cause des retards qui ne peuvent, selon Coffrage, lui être imputables.
Le tribunal conclut de la preuve hydrologique que :
  • La tempête Irène et les 3e et 4e inondations, de même que leur survenue successive à moins de trois semaines d'intervalle, constituent des événements fortuits et imprévisibles qui correspondent à une situation de force majeure.
  • Une élévation des batardeaux à la hauteur des hautes eaux n'aurait pas pu, selon toutes probabilités, prévenir l'inondation du site des travaux à la suite de chacun de ces trois événements.
  • Les deux autres inondations (les pluies du 6 septembre et des 15-16 octobre) ne sont pas exceptionnelles et les batardeaux auraient dû permettre de conserver à sec le plateau de travail à la suite de celles-ci.
Par contre, le tribunal retient de la preuve que si des retards n'avaient pas été accumulés en début de parcours, si l'échéancier avait été respecté aux premières étapes et si Coffrage avait adopté un calendrier qui lui offrait une meilleure marge de manœuvre, les conséquences des inondations sur les délais et la productivité auraient été beaucoup moins importantes. Le retard accumulé ne peut être récupéré et les conditions d'hiver, le report de la pose de la membrane et l'application d'un pavage temporaire pour un parachèvement au printemps deviennent inévitables.
Tenant compte de l'analyse qui précède, des retards accumulés sur l'échéancier avant la survenue des premières intempéries, du défaut de Coffrage de se prémunir des conséquences de celles-ci sur le site des travaux et sur la machinerie, du calendrier serré auquel Coffrage s'astreint dès le début des travaux, sans possibilité de marge de manœuvre suffisante pour tenir compte des imprévus et des retards encourus après les inondations, le tribunal considère que l'impact des conditions météorologiques, bien qu’une partie de celles-ci puissent être considérées comme un événement de force majeure, ne peut justifier la prolongation des délais que réclame Coffrage (Coffrage, paragraphe 60).

Autres causes indépendantes de la volonté d'une partie

Tom Jones & Sons Ltd. v. R., 1981 CarswellOnt 680 (Ont. H.C.) (Tom Jones) concernait un contrat pour la construction d'un édifice du gouvernement provincial à Oshawa. Peu de temps après avoir remporté l'appel d'offres, le contractant a indiqué qu'il ne pouvait pas finaliser le financement et a cherché à invoquer la clause de force majeure suivante :
Si, en raison de grèves, … ou de toute autre cause indépendante de la volonté de [l'entrepreneur] et non causée par son manquement … et ne pouvant être évité par l'exercice d'efforts raisonnables ou de prévoyance, [l'entrepreneur], de bonne foi et sans faute ou négligence de sa part, est empêché ou retardé dans la construction ou l'achèvement du bâtiment… [Italiques ajoutés.]
Cependant, en réalité, le tribunal a estimé que l'entrepreneur aurait pu finaliser un financement, mais pas à un taux qui lui rendrait le projet économiquement avantageux. Citant Atlantic Paper, le coût du financement était insuffisant pour déclencher la clause de force majeure (Tom Jones, paragraphe 14).
World Land Ltd. c. Daon Development Corp., 1981 CarswellAlta 131 (Alta. Q.B.) impliquait également un développement immobilier commercial. Dans ce cas, le constructeur avait accepté de commencer la construction de l’immeuble à Calgary à une date précise. Sinon, il perdrait son dépôt ainsi que son droit d'acquérir l’immeuble. Lorsque le constructeur a manqué le délai, il a cherché, entre autres, à se prévaloir de la clause de force majeure suivante :
… [l'acheteur] [ne] sera [pas] responsable du non-respect de l'une quelconque [des/ses] obligations, … contenues dans les présentes si un tel manquement est causé par un ou plusieurs des événements suivants, à savoir : cas fortuit (catastrophes naturelles), … ou pour toute autre cause (autre que le manque de ressources financières) indépendante de la volonté de l'acheteur … [Italiques ajoutés.]
Cependant, le tribunal a conclu que le retard dans le processus d'approbation de la Ville était entièrement sous le contrôle de l'acheteur qui, dans ses plans, n'avait pas fourni suffisamment de places de stationnement pour l'aménagement proposé (World Land, paragraphe 42). Par conséquent, l'acheteur ne pouvait pas invoquer la clause de force majeure.
Un tribunal de l'Ontario a donné effet à une clause de force majeure dans l'affaire Morris c. Cam-Next Developments Ltd., 1988 CarswellOnt 661 (Ont. H.C.) (Morris), une affaire portant sur l'achat et la vente de deux nouveaux logements de luxe en copropriété. Les acheteurs, qui étaient mari et femme, ont tenté de se retirer des contrats parce que les prix de la copropriété avaient chuté, invoquant la rupture du contrat par le constructeur et cherchant à récupérer leurs dépôts. Le constructeur s'est en partie appuyé sur la clause suivante de chaque contrat :
Si l'achèvement de l'Unité ou des éléments communs est retardé en raison de grèves, … ou par toute autre cause de quelque nature que ce soit indépendante de la volonté du Vendeur, ou si l'enregistrement de la Déclaration, … est retardé par quelque cause que ce soit hors du contrôle du Vendeur, le Vendeur se verra accorder une ou des prorogations raisonnables de délai d'achèvement ou d'enregistrement tel que désigné par le Vendeur, et la date de clôture sera reportée en conséquence. [Italiques ajoutés.]
Le tribunal a conclu que les retards résultaient principalement d'un temps inhabituellement froid et de trois grèves parmi les sous-traitants (Morris, paragraphe 52). En conséquence, le vendeur avait le droit de reporter la date de clôture. Les faits de cette affaire n'expliquent pas pourquoi le froid inhabituel a été qualifié d'événement de force majeure (contrairement à la tempête sans précédent de 30 ans vécue dans Kilislian). Morris n’explique pas non plus la part du retard attribuable aux conditions météorologiques ni à celle des grèves (qui étaient spécifiquement couverts par les événements de force majeure définis).
Dans l'affaire Kilislian (voir Force majeure / Cas fortuit et Pénurie de services publics), le tribunal a également indiqué que, s'il n'avait pas conclu que l'orage et les vents violents étaient suffisants pour engager la clause d'exclusion de responsabilité, il aurait conclu que les circonstances relevaient du libellé « toute autre cause indépendante de notre volonté » (Kilislian, paragraphe 26).
Dans Gingras c. Toma, 8 novembre 2017, Cour du Québec, EYB 2017-291874 (C.Q.) (Gingras), la cour statue sur deux événements qui ne constituent pas un cas de force majeure : le financement et la séparation d’un couple alors même que le contrat d’achat d’un condo n’incluait pas de clause de force majeure. Les demandeurs invoquaient l’article 1470 du C.c.Q.
Un couple a fait une offre d’achat acceptée sur un condo et toutes les conditions d’achat furent remplies, dont le financement. Cependant dans l’intervalle, le couple s’est séparé et a tenté en vain de mettre fin à l’achat du condo. Dans un premier temps, la cour a déterminé qu’une séparation n’est pas un cas de force majeure, les éléments d’externalité et d’imprévisibilité étant absents (Gingras, paragraphe 55). De plus, en se séparant, chaque individu formant le couple a perdu sa qualification pour le financement à la Caisse populaire. Ils se qualifiaient en couple et non individuellement. Ce n'est que suivant la fin de la relation amoureuse des défendeurs et leur décision de ne plus acquérir conjointement l'immeuble des demandeurs que le créancier hypothécaire refuse de leur consentir un financement sur une base individuelle. Ce refus découle d'une situation imputable uniquement au défendeur. Il ne s'agit pas ici d'un cas où le non-accomplissement de la condition d'obtention d'un financement, pour l'achat d'un immeuble, résulte de faits étrangers à la faute ou à la négligence du promettant-acheteur. Les défendeurs n'ont pas démontré leur impossibilité absolue de procéder conjointement à l'achat de l'immeuble des demandeurs.
En effet, malgré leur séparation de fait et la fin de leur relation amoureuse, ils auraient pu procéder à cette acquisition et remettre immédiatement en vente l'immeuble en litige de manière à respecter leur obligation contractuelle envers les demandeurs (Gingras, paragraphe 57).
De toute évidence, le libellé de la clause de force majeure et la question de savoir si la doctrine ejusdem generis la restreint sera critique dans les cas où l'épidémie de COVID-19 est revendiquée comme un événement de force majeure.

Application à l’éclosion de la COVID-19

De nombreux contrats comprendront un ou plusieurs des événements suivants comme cas de force majeure spécifiés :
Cas de force majeure spécifiés
Commentaires
Exécution entravée ou retardée par l'épidémie de la maladie du nouveau coronavirus de 2019 (COVID-19)
  • Cela fait de la COVID-19 un événement de force majeure spécifié. Les fournisseurs en position de négociation forte devraient envisager de l'ajouter aux clauses de force majeure existantes s'ils en ont l'occasion.
  • Si un fournisseur n'inclut pas cette clause spécifique dans un contrat conclu après l'épidémie de la COVID-19, il sera probablement considéré comme ayant assumé le risque de l'effet de l'épidémie sur sa propre exécution contractuelle.
Urgence de santé publique ou éclosion de maladie transmissible
  • La question de savoir si l'épidémie de la COVID-19 constitue une urgence de santé publique pertinente sera une question de fait.
  • La COVID-19 est une maladie transmissible. Mais cela laisse encore ouvertes les questions de causalité et de notification.
Pandémie ou épidémie
  • Le Petit Robert définit la « pandémie » comme une « épidémie qui atteint un grand nombre de personnes, dans une zone géographique très étendue ». Le 11 mars 2020, l'Organisation mondiale de la santé a officiellement déclaré que la COVID-19 était devenue une pandémie mondiale.
  • Cependant, être reconnu comme ou être assimilé à un événement de force majeure spécifié n'est que la première étape de l'analyse. D'autres étapes critiques incluent la causalité et la notification.
Quarantaine
  • Le Petit Robert définit la « quarantaine » comme un « isolement de durée variable (quarante  jours à l'origine) imposé en cas de risques contagieux ».
  • Bien qu'une quarantaine puisse affecter des individus, elle peut ne pas affecter globalement le fournisseur.
Action gouvernementale ou administrative, telle que :
  • Une décision ou un ordre empêchant ou entravant l'exécution.
  • Modifications aux lois ou règlements.
  • C'est un argument possible, surtout s'il y a un verrouillage imposé par l'État et la fermeture des services non essentiels.
  • Il ne profiterait pas à une contrepartie contractuelle qui est une entité gouvernementale ou publique (Hydro-Québec).
  • Entraver ou retarder l’exécution est plus large (ou plus favorable aux fournisseurs) que d'empêcher l’exécution.
Cas fortuit (commun à de nombreuses dispositions de force majeure)
  • La COVID-19 n'est pas le fait de l’être humain, mais une cause purement naturelle.
  • Cela correspond sans doute à la définition large d'un cas de force majeure dans le CFCP, à savoir : « un événement ou une circonstance extraordinaire qui n'aurait pas pu être prévu et contre lequel on n'aurait pas pu se prémunir ».
  • Bien que la propagation de la contagion puisse être atténuée par des mesures de distanciation personnelle, ces mêmes mesures entravent ou retardent souvent les opérations commerciales habituelles.
Défaillance des fournisseurs en amont
  • La COVID-19 peut perturber la chaîne d'approvisionnement en amont.
  • Si la clause de force majeure prévoit des défauts ou des retards du fournisseur en amont, la partie affectée ou touchée peut avoir une raison pour différer ou retarder l'exécution pendant qu'elle trouve un autre fournisseur, à condition qu'elle prenne des mesures raisonnables pour le faire.
D'autres événements échappant au contrôle raisonnable d'une partie
  • Beaucoup dépendra du libellé de la clause de force majeure et du contrat en général.
  • Par exemple, l'événement doit-il empêcher l’exécution ou seulement entraver ou retarder l’exécution ?
  • L'événement était-il prévisible ou imprévisible ?
  • Le contrat a-t-il été conclu avant ou après la première épidémie de la COVID-19 ou sa gravité était-elle largement reconnue ?
  • Les clauses de force majeure ont tendance à être interprétées de manière restrictive pour exclure les circonstances qui ne relèvent pas clairement de la clause et pour exclure les événements qui ne sont pas vraiment indépendants de la volonté de la partie.

Avis d’un événement de force majeure

Les clauses de force majeure contiennent généralement des dispositions de notification écrite pour garantir la certitude et la conformité aux exigences de la bonne foi et ainsi éloigner toute incertitude ou imprécision si une partie invoque son droit de se prévaloir d'un cas de force majeure pour inexécution ou retard d'exécution. L'avis écrit a un double objectif :
  • Filtrer les raisons et excuses ex post (après le fait) pour non-exécution.
  • Fournir à la partie qui reçoit l'avis la possibilité d'atténuer les effets d'un échec ou d'un retard d'exécution.
Si un avis écrit est stipulé, il doit être donné à la suite de la survenance de l'événement déclenchant la force majeure. Le défaut par la partie concernée de transmettre un avis dans ce délai annule tous les droits liés à la force majeure que la partie aurait pu autrement faire valoir (voir, par exemple, World Land, paragraphe 43).
Lorsqu'un avis approprié est transmis dans le délai imparti, les droits liés à la force majeure seront réputés avoir commencé rétroactivement à compter du début de l'événement de force majeure.
Il ne faut pas oublier que tout contrat régi par les lois du Québec devra respecter les exigences de la bonne foi, que la clause de force majeure prévoie ou non l’envoi d’un avis écrit.
6. Toute personne est tenue d’exercer ses droits civils selon les exigences de la bonne foi.
(Article 6, C.c.Q.)
7. Aucun droit ne peut être exercé en vue de nuire à autrui ou d’une manière excessive et déraisonnable, allant ainsi à l’encontre des exigences de la bonne foi.
(Article 7, C.c.Q.)
1375. La bonne foi doit gouverner la conduite des parties, tant au moment de la naissance de l’obligation qu’à celui de son exécution ou de son extinction.
(Article 1375, C.c.Q.)
Pour un exemple d'avis de force majeure, voir le Document modèle, Avis concernant un événement de force majeure.

Causalité

Une clause de force majeure exige généralement que la partie touchée établisse que l'événement de force majeure a affecté son exécution dans la mesure requise par le libellé du contrat, qui varie d'un contrat à l'autre, mais exige généralement que l’exécution de la partie touchée soit :
  • Empêchée (une norme plus onéreuse à respecter par la partie touchée).
  • Entravée ou retardée (une norme moins lourde pour la partie touchée).
Par exemple, dans Jack, le tribunal a conclu que les blessures subies dans un accident de véhicule à moteur n'avaient pas empêché le constructeur de poursuivre ses travaux, car il travaillait sur au moins un autre projet et recevait des échéanciers révisés pour l'achèvement du duplex du demandeur.

Atténuation

Dans ce contexte, l'atténuation fait référence à l'atténuation des effets de l'événement de force majeure. Cela n'a rien à voir avec l'atténuation des dommages contractuels.
Une clause de force majeure comprend généralement une obligation expresse d'atténuer, dans la mesure du possible, et de remédier à la situation de bonne foi, avec diligence raisonnable ou aussi rapidement que raisonnablement possible.
Dans Atcor, un contrat a été conclu pour la fourniture de gaz naturel par Atcor à Continental. L'approvisionnement en gaz d'Atcor à Continental a été interrompu en raison de plusieurs pannes d'équipement sur le système de NOVA. Il ne faisait aucun doute qu'il y avait un événement de force majeure défini. La question a été de savoir si Atcor avait tenté de remédier à la situation par des mesures d'atténuation. Le tribunal a estimé que la partie touchée avait l'obligation d'atténuer l'événement de force majeure lui-même et l'effet de la force majeure sur la contrepartie. Cette obligation d'atténuation se limite à une norme de ce qui est commercialement faisable et raisonnable (Atcor, paragraphe 35). Dans ce cas, il était difficile de comprendre pourquoi le fournisseur ne pouvait pas acheter sur le marché au comptant (spot market) si le client le pouvait (Atcor, paragraphe 40).
Dans Biondi, on peut également reprocher à la Ville de Montréal de ne pas avoir tenté d’atténuer la réaction de ses syndiqués, mécontents d’une décision du Conseil des services essentiels.
En toute connaissance de cause, elle avait décidé de s'en remettre au Conseil des services essentiels et, par la suite, à la Cour supérieure pour exercer son autorité. D'où l'extrême laxisme dont elle a fait preuve. (Biondi, paragraphe 126.)

Conséquences sur l'exécution contractuelle

Si la partie touchée ou affectée invoque avec succès une clause de force majeure, la clause prévoit généralement que l'effet initial est uniquement de retarder l'exécution par la partie concernée pendant la durée de l'événement de force majeure. Souvent, le contrat prévoit une période beaucoup plus longue avant que l'une ou l'autre des parties ait le droit de résilier le contrat entièrement. En outre, la question de savoir si l'événement de force majeure affecte une disposition de recours en dommages-intérêts pour retard de livraison dépend de la rédaction du contrat dans son ensemble (en particulier de la manière dont les clauses de recours en dommages-intérêts et de force majeure fonctionnent ensemble).

Le temps est une condition essentielle du présent contrat (ci-après « la rigueur des délais »)

Un contrat peut inclure une disposition stipulant que les délais sont de rigueur ou omettre cette disposition. Si le contrat contient à la fois une disposition relative à la rigueur des délais et une disposition relative à la force majeure, la disposition relative à la force majeure fournira généralement une dispense explicite quant à la rigueur des délais. C'est généralement l'objet d'une disposition relative à la force majeure.
Néanmoins, il est utile de résumer diverses règles sur la rigueur des délais et comment elles peuvent être affectées par l'épidémie de COVID-19 ou d'autres retards dus à la chaîne d'approvisionnement ou d'autres défaillances attribuables à la pandémie :
La règle générale est que les parties doivent s'acquitter de leurs obligations contractuelles spécifiquement telles qu'édictées dans le contrat (Sail Labrador Ltd. c. Challenge One (Le), 1998 CarswellNat 2691 (C.S.C.) (REJB 1999-10562) (Sail Labrador), paragraphe 31). Cette règle est codifiée au C.c.Q. à l’article 1434 :
Le contrat valablement formé oblige ceux qui l’ont conclu non seulement pour ce qu’ils y ont exprimé, mais aussi pour tout ce qui en découle d’après sa nature et suivant les usages, l’équité ou la loi.
  • Les délais sont présumés ne pas être de rigueur à moins que :
    • Le contrat stipule expressément que les délais sont de rigueur pour tout ou partie de ses dispositions. Cette stipulation doit utiliser des mots très précis pour faire comprendre à l'autre partie que le non-respect des délais peut entraîner la résiliation du contrat, que la violation soit substantielle ou mineure et non préjudiciable ; ou
    • La nature du bien concerné ou les circonstances appellent cette interprétation, comme une transaction impliquant une denrée périssable (comme le poisson frais dans les produits de la pêche) ou quelque chose dont la valeur est susceptible de changer rapidement (comme les actions d'une société cotée en bourse) (Sail Labrador, paragraphes 54-56 et 62).
  • L’article 1426 du C.c.Q. précise également : « On tient compte, dans l’interprétation du contrat, de sa nature, des circonstances dans lesquelles il a été conclu, de l’interprétation que les parties lui ont déjà donnée ou qu’il peut avoir reçue, ainsi que des usages. »
  • Si les délais sont de rigueur et qu'une partie fait défaut dans l'exécution, la partie non contrevenante a le choix entre l'un des ensembles de recours suivants :
    • Accepter le défaut de l’autre partie, résilier le contrat et intenter une action pour rupture de contrat. Dans ce cas, une notification de l'intention de résiliation doit être communiquée à l’autre partie ; ou
    • Refuser le défaut de l’autre partie, maintenir le contrat et insister sur son exécution. Cependant, ce refus a pour effet de renoncer à la rigueur des délais. Les recours contractuels disponibles en cas de défaut sont soit des dommages-intérêts, soit, dans certains cas, un recours équitable tel qu'une exécution spécifique ou une injonction. (Domicile Developments Inc. c. MacTavish, 1999 CarswellOnt 1622 (Ont. C.A.), paragraphes 9 et 10 (Domicile) et Lee c. OCCO Developments Ltd., 1996 CarswellNB 491 (N.B. C.A.) (Lee), paragraphe 33.)
    • Ces possibilités de recours se retrouvent à l’article 1590 du C.c.Q. :
L’obligation confère au créancier le droit d’exiger qu’elle soit exécutée entièrement, correctement et sans retard.
Lorsque le débiteur, sans justification, n’exécute pas son obligation et qu’il est en demeure, le créancier peut, sans préjudice de son droit à l’exécution par équivalent de tout ou partie de l’obligation :
1° Forcer l’exécution en nature de l’obligation ;
2° Obtenir, si l’obligation est contractuelle, la résolution ou la résiliation du contrat ou la réduction de sa propre obligation corrélative ;
3° Prendre tout autre moyen que la loi prévoit pour la mise en œuvre de son droit à l’exécution de l’obligation.
De plus,
Lorsque les obligations résultant d’un contrat synallagmatique sont exigibles et que l’une des parties n’exécute pas substantiellement la sienne ou n’offre pas de l’exécuter, l’autre partie peut, dans une mesure correspondante, refuser d’exécuter son obligation corrélative, à moins qu’il ne résulte de la loi, de la volonté des parties ou des usages qu’elle soit tenue d’exécuter la première.
(Article 1591, C.c.Q.)
  • Si les délais sont de rigueur et que les deux parties sont en défaut ou ne sont pas prêtes, mais sont désireuses et capables de conclure l’opération :
    • Le contrat reste en vigueur ;
    • Les délais cessent d’être de rigueur ; et
    • L'une ou l'autre des parties peut remettre les délais de rigueur en fixant une nouvelle date d'exécution et en donnant un préavis raisonnable à l'autre partie.
  • Si le contrat contient une clause sur la rigueur des délais et que les parties y ont renoncé, les parties sont réputées avoir renoncé à leur droit d'insister sur le strict respect du délai prescrit à moins qu'il y ait un rétablissement formel de la rigueur des délais en indiquant une nouvelle date d’exécution et en donnant un préavis raisonnable à la partie adverse (Lee, paragraphe 33).
  • Si les délais ne sont pas de rigueur, la résiliation ne sera possible que si le défaut d’exécution prive substantiellement la partie non contrevenante de ce qu’elle a négocié (ou, autrement dit, affecte l’objet même du contrat). La partie non contrevenante n'aura son recours que sous forme de dommages-intérêts pour rupture de contrat (Sail Labrador, paragraphe 31).
  • En corollaire, si les délais ne sont pas de rigueur ou que les parties ont renoncé à son application, une partie sera en défaut si elle prétend à tort résilier le contrat (Nepean Carleton Developments Ltd. v. Hope, 1976 CarswellOnt 421F (C.S.C.), paragraphe 22 ; et Domicile, paragraphes 13 et 14).
Supposons, par exemple, qu'un fournisseur soit obligé de livrer une unité d'équipement sur mesure à l'acheteur à une date précise et que le contrat contient une clause portant sur les délais de rigueur, mais n'inclut pas de clause portant sur la force majeure. L'épidémie de COVID-19 rend la livraison en temps opportun des marchandises difficile pour le fournisseur, car son usine a été fermée. Il lui faudra probablement quelques jours ou semaines supplémentaires pour la livraison finale et l'installation des marchandises dans les locaux de l'acheteur.
En supposant que les doctrines d'impossibilité et de frustration ne sont pas disponibles ou sont irréalisables, le fournisseur court le risque que l'acheteur puisse résilier le contrat et intenter une poursuite en dommages-intérêts. Cependant, bien que l'acheteur puisse insister sur une stricte exécution, il n'aura le droit de récupérer que sa perte inévitable auprès du fournisseur. Si la COVID-19 a fermé l'usine du fournisseur, elle a peut-être également mis un terme aux opérations de plusieurs de ses concurrents. Si l'acheteur engage un fournisseur concurrent, il lui faudrait probablement beaucoup plus de temps pour obtenir un équipement opérationnel que si l'acheteur acceptait une livraison tardive du fournisseur d'origine. Un fournisseur concurrent aura besoin de temps pour fabriquer et livrer l'équipement conformément aux spécifications sur mesure. Par conséquent, l'acheteur doit être pragmatique quant à ses options.
Si l'acheteur choisit de prolonger la date de livraison du fournisseur d'origine, il peut par un avis modifier implicitement la clause de délai de rigueur pour la nouvelle date et, sous réserve des exclusions de responsabilité dans le contrat, poursuivre le fournisseur pour tout dommage résultant d'un retard de livraison. Les parties pourraient négocier une réduction de prix (ou des frais liés à la livraison tardive) en reconnaissance du fait que le fournisseur veut éviter le risque de se retrouver avec un équipement sur mesure sur les bras (qui peut être invendable sauf avec une forte réduction de prix).
Facultativement, le fournisseur d'origine peut s'approvisionner en équipement sur le marché (par exemple, auprès d'un concurrent ou d'un client existant qui n'a pas encore mis en production son équipement nouvellement acquis).
En résumé, en vertu du droit québécois, le non-respect d’un délai de rigueur devra être analysé sous les angles suivants :
  • La bonne foi doit régir la relation entre les parties en tout temps : articles 6, 7 et 1375 du C.c.Q. ;
  • Le créancier de l’obligation a le choix entre plusieurs recours : article 1590 du C.c.Q. ; et
  • Le débiteur de l’obligation peut toujours invoquer son exonération de responsabilité en cas de force majeure prévue à l’article 1470 du C.c.Q. Il doit démontrer que l’événement lui est extérieur et qu’il est imprévisible et irrésistible.

Résiliation à l'expiration d'une date limite

Un contrat peut prévoir la résiliation si, pour une raison quelconque, l'exécution n'est pas achevée à une date limite (parfois appelée une date butoir). Les dates limites d'achèvement sont, par exemple, courantes dans l'industrie de la construction. En raison de la complexité d'un projet de construction, il peut y avoir une myriade de raisons pour lesquelles le promoteur ou l'entrepreneur ne peut pas terminer un bâtiment en vue de l'occupation à une date limite spécifiée au contrat.
Marathon Canada Ltd. c. Enron Canada Corp., 2008 CarswellAlta 1399 (Alta. Q.B.), confirmé 2009 CarswellAlta 68 (Alta. C.A.) (Marathon) illustre le principe selon lequel les parties commerciales sont libres de spécifier leurs propres droits de résiliation contractuelle, et les tribunaux respecteront le libellé du contrat conformément à ses termes. L'affaire concernait un droit de résiliation qui était déclenché si la cote de crédit de la société mère indirecte du vendeur, Enron Corp. aux États-Unis, tombait en dessous d'un niveau spécifié. En fait, Standard & Poor's a abaissé la cote de crédit de la dette à long terme d'Enron Corporation en difficulté au statut d'obligations à haut risque.
L'acheteur, Marathon, a profité de l'événement déclencheur de façon opportuniste pour mettre fin à ses autres obligations d'achat en vertu du contrat d'achat de gaz naturel. Le prix d'achat en vertu de l'accord était, à l'époque, supérieur aux taux du marché au comptant (spot market), ce qui signifie que la résiliation de l'accord était financièrement avantageuse pour l'acheteur. Le vendeur a demandé des dommages-intérêts de 55,2 millions $ à l'acheteur. Cependant, le tribunal de première instance a confirmé le droit de l'acheteur de résilier le contrat en invoquant la clause de résiliation.
La clause de résiliation dans Marathon était sans ambiguïté. Néanmoins, le vendeur a fait de vaillants efforts pour montrer que, malgré le libellé du contrat, la coutume et la pratique de l'industrie étaient que la partie non contrevenante donne un avis à la partie défaillante et une possibilité raisonnable de se conformer ou de remédier au défaut. Enron a également fait valoir que Marathon avait une obligation de bonne foi qui se superposait à ses droits contractuels et que, dans ce cas, Marathon avait été injustement enrichie par la résiliation de l'accord étant donné qu'elle s'était débarrassée d'une importante obligation d'achat d'argent aux frais d'Enron.
Le tribunal de première instance a rejeté chacun de ces arguments, déclarant que :
  • La certitude des conditions prévues au contrat est mieux assurée par un langage contractuel sans ambiguïté plutôt qu’en superposant au libellé contractuel des preuves provenant des attentes et usages de l'industrie (motifs du procès Marathon, paragraphe 112).
  • La pratique alléguée de l'industrie allait à l'encontre du libellé clair du contrat (motifs du procès Marathon, paragraphe 125.1).
  • Les attentes des parties se retrouvent mieux exprimées dans un libellé contractuel clair. Cependant, exercer son droit de résiliation contractuelle ne constitue pas une violation d'un devoir de bonne foi (motifs du procès Marathon, paragraphe 131).
  • Il y a eu un enrichissement ou un avantage pécuniaire imprévu, mais celui-ci provient des conditions prévues au contrat. Il ne peut être qualifié d’enrichissement injustifié.
La Cour d'appel de l'Alberta a confirmé cette décision.
Roberge c. 1102940 Alberta Ltd., 2012 CarswellAlta 2258 (Alta. Q.B.) (Roberge) est un cas illustrant l'application d'une clause de date limite à un contrat de construction. L'affaire concernait un contrat d'achat et de vente d'un condominium à Leduc, en Alberta. La date limite pour le début de l’occupation a été fixée au 31 août 2006.
Cependant, peu de temps après la conclusion du contrat, le promoteur a connu des difficultés financières. Il y a eu un boom de la construction; les sous-traitants étaient très en demande. Au fur et à mesure que la demande augmentait, le prix augmentait également. Le coût budgétaire global du promoteur est passé de 11,9 millions $ à 13,3 millions $, et son prêteur a ensuite annulé le financement du projet et a exigé le remboursement de son hypothèque. En conséquence, le développeur a invoqué son droit de résiliation en vertu du contrat qui prévoyait que :
L'unité devrait être disponible pour occupation le ou vers le 31 août 2006 et le Vendeur procédera à la construction de l'unité avec toute la diligence requise, et fera tout son possible pour remettre la possession à l'Acheteur d'ici [cette] date. Cependant, si la construction est inachevée au moment de l'exécution du Contrat, l'Acheteur reconnaît que la Date de Clôture est une date estimée uniquement et que le Vendeur n'aura aucune responsabilité si cette Date de Clôture estimée n'est pas respectée, même à un degré substantiel. Si le Vendeur est incapable de terminer substantiellement l'unité pour l'occupation dans un délai raisonnable après la date de clôture stipulée, le Vendeur peut, à sa seule discrétion, retourner tous les dépôts qu'il détient et le Vendeur ne sera pas responsable envers l'Acheteur pour tout dommage à cet égard.
Le tribunal a déterminé que la conclusion du promoteur selon laquelle il ne serait pas en mesure d'achever le logement pour occupation dans un délai raisonnable après la date de clôture estimée doit être :
  • À la fois subjectivement honnête et objectivement justifié.
  • Pour des raisons indépendantes de sa volonté.
(Roberge, paragraphes 56 et 79.)
Le tribunal a jugé que le développeur satisfaisait à ces exigences. La clause de résiliation était distincte d'une disposition de force majeure en ce que la première tient compte du risque d'événements imprévus, tandis que la seconde exclut le risque connu et attendu de retards de construction dans le contexte des immeubles en copropriété (Roberge, paragraphes 75 à 78). La clause reflète la réalité d'un secteur dans lequel des retards de construction sont attendus et inévitables et présentent des risques importants pour les promoteurs (Roberge, paragraphe 79).
Les retards causés par l'épidémie de la COVID-19 répondraient également aux exigences énoncées dans Roberge. L'épidémie peut entraîner des dates d'occupation ou de livraison atteignant un point où le fournisseur se doit d’envisager invoquer un droit de résiliation unilatéral s'il dispose d’un tel droit en vertu du contrat et que l'exécution continue du contrat est devenue économiquement non rentable.
Ce type de clause de résiliation distincte d'une disposition de force majeure est parfaitement légal en vertu du droit québécois et les parties y seront liées. Il y a fort à parier que les exigences de subjectivité honnête et d’objectivité justifiée ainsi que pour des raisons indépendantes de la volonté du débiteur soient reconnues. En vertu de l’article 6 de la Loi sur la protection du consommateur, RLRQ c. P-40.1 :
Sont exclus de l’application de la présente loi, les pratiques de commerce et les contrats concernant :
b) la vente, la location ou la construction d’un immeuble, sous réserve de l’article 6.1.
Deux articles du C.c.Q. sont quand même d’intérêt en cette matière. L’article 2100 du C.c.Q. stipule que :
L’entrepreneur et le prestataire de services sont tenus d’agir au mieux des intérêts de leur client, avec prudence et diligence. Ils sont aussi tenus, suivant la nature de l’ouvrage à réaliser ou du service à fournir, d’agir conformément aux usages et règles de leur art, et de s’assurer, le cas échéant, que l’ouvrage réalisé ou le service fourni est conforme au contrat.
Lorsqu’ils sont tenus au résultat, ils ne peuvent se dégager de leur responsabilité qu’en prouvant la force majeure.
Dans Roberge, la clause prévoit implicitement que le vendeur n’est pas tenu au résultat.
Finalement, le client aurait toujours le loisir de poursuivre le promoteur immobilier en responsabilité contractuelle en vertu de l’article 1458 du C.c.Q. :
Toute personne a le devoir d’honorer les engagements qu’elle a contractés.
Elle est, lorsqu’elle manque à ce devoir, responsable du préjudice, corporel, moral ou matériel, qu’elle cause à son cocontractant et tenue de réparer ce préjudice; ni elle ni le cocontractant ne peuvent alors se soustraire à l’application des règles du régime contractuel de responsabilité pour opter en faveur de règles qui leur seraient plus profitables.
Toutefois, si le contrat contient une clause de résiliation distincte du type de celle stipulée dans Roberge, les chances de succès pour l’acheteur seront très minces.
Pour plus d'informations sur la rédaction et la négociation des clauses de résiliation, voir la Clause modèle, Clauses contractuelles générales : terme et résiliation.